Articles

L’État du commerce dans le monde – Le temps est à l’optimisme

28 juin 2011
ITC Nouvelles

La morosité, voire le pessimisme, semblent de mise dans le monde du commerce. Si le débat très animé sur les guerres des devises s’est quelque peu apaisé, d’importants déséquilibres persistent. Le succès du Cycle de Doha n’est pas encore garanti. Et bien que les pays aient, d’une manière générale, résisté à la tentation du protectionnisme, les taux de chômage obstinément élevés affichés par nombre de pays occidentaux en particulier pourraient bien lui rendre son irrésistible attrait politique – même s’il s’avère économiquement indésirable.

Je souhaite mettre ici l’accent sur ce que l’on néglige souvent, à savoir les nombreuses raisons pour lesquelles les possibilités réelles offertes par le commerce devraient être envisagées avec optimisme. Imaginons ici un scénario commercial type: deux pays, deux marchandises, une étape de production unique pour chacune, une compétitivité parfaite et zéro frais d’exportation. En s’écartant de ce modèle mental et en étudiant toutes les possibilités offertes par le commerce, l’emprise de ce modèle pourrait s’affaiblir et nous pourrions être encouragés à étudier ces possibilités. Les avantages de la libéralisation des échanges pourraient se traduire par une augmentation de plusieurs points de pourcentage du PIB. 

 

Prenons six variables possibles qui s’écartent de notre équation traditionnelle et voyons en quoi elles affectent l’estimation des gains découlant du commerce ou les moyens de les libérer.

 

1. De multiples marchandises 

Réduire le monde à deux marchandises est plus qu’une simple restriction quantitative. Cela limite bien évidemment les possibilités (statiques) de spécialisation. Et comme souligné plus haut, se limiter à un nombre réduit de marchandises – ou de pays – revient à minimiser les gains dynamiques, en particulier pour les petits pays, liés à la spécialisation de leurs connaissances et à la spécialisation dans un petit nombre de secteurs. Après tout, ce devrait être beaucoup plus simple d’avancer sur l’échelle de la productivité mondiale dans un ou quelques secteurs plutôt que dans un grand nombre d’entre eux. Qui plus est, une diversification plus poussée amplifie considérablement les avantages découlant de la libéralisation des échanges. Une étude a en effet montré que les gains en termes de revenu réel découlant de la libéralisation passeraient de 0,5% du PIB mondial à 0,88% (même si, comme je le ferai valoir plus bas, ce deuxième chiffre est à mon sens sous-estimé).1 

2. De multiples stades de production 

Partir du principe que le processus de production se limite à une étape permettant de transformer les intrants en biens de consommation finaux revient aussi à limiter mentalement le champs de ses possibilités. Dans un monde caractérisé par d’importants échanges intrasectoriels et, en particulier, par un saucissonnage et une dispersion des chaînes de valeur entre les pays, choisir d’être compétitif dans tel ou tel secteur implique plus que choisir de se concentrer sur tel ou tel produit. Comme le souligne Pascal Lamy, Directeur général de l’OMC, des décisions doivent aussi être prises quant aux étapes verticales sur lesquelles se concentrer. Si la nécessité de réfléchir à cette dimension verticale n’est pas nouvelle, elle semble s’être amplifiée sous l’effet des événements récents. Jusqu’à il y a peu, la répartition des tâches entre pays s’affinait et se compliquait; la fabrication de certains vêtements, par exemple, pouvait se diviser en 40 étapes réalisées dans une douzaine de pays. Les préoccupations croissantes relatives à l’environnement et l’importance des prix de l’énergie, sans parler du risque de protectionnisme, semblent aujourd’hui inverser la tendance. Une étude réalisée en 2009 auprès des fournisseurs de logistique a révélé que près d’un quart des clients nord-américains et européens avaient pris des mesures afin de raccourcir leurs chaînes d’approvisionnement au cours de l’année écoulée. La fluidité de la division verticale du travail accroît la nécessité d’établir un distinguo entre les différentes étapes verticales le long des chaînes de valeur et de définir une cible ou une trajectoire dans le temps. 

3. De multiples catégories autres que de marchandises 

L’accent traditionnellement mis sur le commerce des marchandises néglige le commerce des services. Ce dernier est en fait déjà plus important qu’il n’y paraît, de nombreuses activités de service étant englobées dans le secteur manufacturier (comme la fourniture interne de services comptables dans une entreprise qui produit pour l’exportation). Cependant, ce sont les TI qui ont récemment offert et vont continuer d’offrir un potentiel croissant, voire exponentiel, pour certains services exécutés là même où ils sont fournis, augmentant ainsi la négociabilité des services. À cet égard, l’exemple le plus connu de délocalisation des services concerne la délocalisation des services de TI et l’externalisation des processus d’entreprise. De nombreuses entreprises ont pris la décision de délocaliser les TI et les services connexes en Inde et ailleurs, bien que la connectivité à haut débit soit peu coûteuse. Et pourtant leur volume représente encore moins de 20% du marché – lequel pourrait bien être multiplié par trois d’ici 2020.2 Dans d’autres catégories de services utilisant les TI, la délocalisation n’est pas aussi importante. De nombreux secteurs de services qui ne sont par ailleurs pas (ou pas nécessairement) liés aux TI recèlent un potentiel, tels que les services d’éducation, de santé, de tourisme et de transport.

4. De multiples gains possibles 

Il est un autre motif important d’optimisme, à savoir le fait que, comme le relevait Pascal Lamy, économistes commerciaux et professionnels s’attachent toujours aux volumes alors qu’ils devraient songer aux différentes manières dont les échanges transfrontières peuvent créer de la valeur. Se mettre ici à la place des entreprises est très instructif car celles-ci ont bien compris l’importance de cette tendance il y a des dizaines d’années déjà. Lorsque l’on s’interroge sur la façon dont les entreprises perçoivent les opérations internationales, l’on constate que des facteurs de coûts autres que les simples différences de coûts sont pris en considération, notamment les économies d’échelle, l’investissement dans l’abaissement des coûts, les effets d’utilisation, etc. L’expérience des entreprises suggère aussi d’accorder davantage d’attention aux effets des échanges transfrontières sur la différenciation, ainsi que sur les coûts, sur le tissu industriel ainsi que sur les facteurs de risque et les possibilités d’apprentissage. La figure ci-dessus contient une liste des différents courants de pensée qui mettent l’accent sur les gains autres que conventionnels liés au commerce. Je pense personnellement que tenir compte de tous ces gains supplémentaires signifierait une augmentation du PIB mondial de plusieurs points de pourcentage.3 

5. Une multitude de meilleurs endroits 

La théorie du commerce, notamment en l’absence de coûts de transport, a consisté à trouver ‘le meilleur endroit’ au monde pour fabriquer un produit donné (ou réaliser une activité donnée). Cette approche a été encouragée par les travaux menés sur les secteurs industriels, lesquels créent une dichotomie entre les effets de la distance en partant du principe qu’au plan de la production, la distance géographique est prohibitive en ce sens que toutes les interactions ‘intéressantes’ sont localisées, mais qu’à l’heure de lancer un produit sur le marché (ainsi que pour les interactions ‘non intéressantes’), la distance n’est pas dissuasive. Aller au-delà de cette dichotomie et adopter un point de vue plus large de la distance et de ses effets, en d’autres termes ne pas s’arrêter au contraste binaire entre le local versus l’étranger, pour comprendre les différences en cas de délocalisation, montre bien souvent qu’il existe ‘de nombreux meilleurs endroits’ où s’implanter. Cette conclusion logique est confirmée par les données qui indiquent une plus vaste dispersion géographique, plutôt qu’une concentration de la production, dans la plupart des catégories de produits manufacturés depuis 1970, ainsi que (moins directement) par les bases factuelles constantes de l’importance de la distance et, dans de nombreuses régions, la diminution de la distance moyenne d’expédition.

6. De multiples obstacles surmontables  

Lorsque l’on se demande pourquoi l’intégration transfrontières est aussi limitée, un éventail d’obstacles apparaissent. Cependant, seul un sous-groupe d’obstacles administratifs est généralement pris en compte dans l’analyse des gains tirés de la poursuite de la libéralisation des échanges ; ainsi, l’harmonisation réglementaire, la facilitation des échanges et autres mesures visant à alléger la bureaucratie restent généralement passées sous silence. Il en va de même des possibilités de facilitation culturelle pour surmonter les obstacles liés à l’insularité, le chauvinisme et le manque d’informations. Si dans certains cas les facteurs géographiques ne peuvent être modifiés, des progrès restent toujours possibles, comme en améliorant les infrastructures portuaires, routières et ferroviaires nationales qui constituent, sommes toutes, un pont vers les frontières internationales. Faire porter son attention non pas sur un nombre limité de leviers administratifs utilisés pour accroître l’intégration, mais sur l’élargissement de la marge de manœuvre politique, a toutes les chances d’ouvrir la voie à l’exploitation des débouchés susmentionnés. Nombre de ces autres obstacles peuvent et doivent être surmontés unilatéralement.

En bref: les six difficultés du monde réel énumérées ci-dessus nous rappellent le potentiel du commerce et la marge de manœuvre stratégique dont jouissent les pays désireux de l’exploiter. Néanmoins, exploiter ce potentiel exige des efforts multilatéraux et unilatéraux. À cet égard, il convient de noter que le Cycle de Doha est essentiellement axé sur les deux premiers problèmes cités plus haut, mais qu’il ne traite pas en profondeur des services, de nombre d’obstacles administratifs et des différentes possibilités d’ajout de valeur. Par conséquent, pour tirer pleinement parti du potentiel du commerce, certaines des questions retirées de l’ordre du jour des négociations lors de la Ministérielle de Cancun en 2003 devront y être réinscrites après le Cycle de Doha.

Pankaj Ghemawat est l'auteur de nombreuses publications destinées au monde des affaires, y compris 'Redéfinition de la stratégie globale' et ‘Strategy and the Business Landscape’.
Pour plus d’informations, en anglais: www.ghemawat.org.
 

Cet article est basé sur World 3.0 Global Prosperity and How to Achieve it, Pankaj Ghenawat, Boston: Harvard Business Review Press, mai 2011.  

1 David Laborde, Will Martin et Dominique van der Mensbrugghe, Measuring the benefits of Global Trade Reform with Optimal Aggregators of Distorsions. IFPRI et Banque mondiale, septembre 2010.
2 Pankaj Ghermawat et Steven A. Altman, The Indian IT Services Industry in 2009, Pièces 6-9, version non publiée, août 2009, disponible à www.ghemawat.org.
3 Voir Ghemawat, op cit, chapitre 4.  

  

 

 

 

 

ACCROÎTRE LA VALEUR PAR LE BIAIS DU COMMERCE  

Élément de valeur  Ajouts 
Augmentation des volumes   
Réduction des coûts  • Économies d’échelle
• Investissement dans la réduction des coûts
• Autres coûts majeurs (l’utilisation, par exemple) 
Différenciation (accroître la disposition à payer)  • Incidence économique des produits manquants
• Jouer sur la qualité 
Intensification de la concurrence  • Études de productivité (décomposition,  chiffre d’affaires)
• Activités de recherche de rente/d’occasions de gagner de l’argent sans créer de richesses
• Effets de retranchement 
Normalisation du risque  • Études de cas (sur les denrées alimentaires, par ex.) 
Production et déploiement de savoir/autres ressources  • Publications sur le progrès/les capacités technologiques
• Imitation de même qu’innovation
• Complémentarité avec l’investissement