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Les villes, moteurs de la croissance régionale

14 janvier 2015
ITC Nouvelles

Stamford Raffles, à l'époque, Gouverneur général de la ville de Singapour, a décrété en 1823 que la ville était un port franc et ouvert. Singapour a connu une croissance rapide à partir du moment où le premier plan de développement pour la ville a été établi par Raffles en 1819. Bien que le développement économique ait connu des hauts et des bas au cours des deux derniers siècles, la déclaration du port franc a posé les jalons de la ville dynamique, développée et mondialisée que nous connaissons aujourd'hui.

Raffles faisait un peu figure d'exception, et grâce aux efforts qu'il a déployés, Singapour a connu une nouvelle phase de développement. Il mit Singapour en concurrence avec les ports de la région, notamment les ports des Indes orientales néerlandaises, aujourd'hui l'Indonésie. Son idée a remporté un tel succès que le trafic portuaire de Singapour s'est presque quintuplé au cours des 10 années qui ont suivi (Moving People, Goods and information in the 21st Century: The Cutting-Edge Infrastructures of Networked Cities, Richard Hanley, 2004).

Au XXème siècle, la mondialisation a entraîné une plus grande harmonisation des chaines d'approvisionnement ainsi que plus de transparence en matière de commerce international. De nos jours, des mesures compétitives telles que celles prises par Raffles ne sont pas rares, bien qu'elles soient plus axées sur l'amélioration des infrastructures que sur la suppression des tarifs. En fait, elles sont devenues la norme, puisque les agences de développement du commerce locales, régionales et nationales et les agences d'investissement interne rivalisent entre elles pour la croissance économique.

Mais la concurrence au niveau local et régional représente-t-elle une menace pour les intérêts nationaux ou est-elle un ajustement nécessaire afin d'attirer les revenus de capital et les recettes d'exportation? Et le développement du commerce, est-il une activité dirigée par le gouvernement central ou par la ville?
Au stade actuel de la mondialisation, la réponse la plus simple serait les deux. L'activité principale en matière de développement du commerce semble avoir été concentrée les 20 dernières années sur la réduction des inefficacités spécifiques aux ports ou sur les goulets d'étranglement des chaines d'approvisionnement, ce qui a amené à une reconfiguration des modèles de chaines d'approvisionnement. Dans de nombreux cas, le développement compétitif des ports n'a pas été préjudiciel, mais plutôt bénéfique au développement régional et national.

L'un des cas les plus révélateurs est celui du delta de la rivière des Perles. Pendant une bonne partie du XXème siècle, Hong Kong a été de facto le point d'entrée vers le coeur de l'industrie manufacturière chinoise. Elle comptait avec un port et des dépôts modernes, une plate-forme de fret aérien pour les cargaisons urgentes et des services de financement du commerce et d'assurance, ce qui était plutôt rare dans le sud de la Chine avant le tournant du XXIème siècle.

Les ports chinois du delta ont bénéficié du développement des infrastructures liées au transport et des services d'appui en Chine. Guangzhou a bénéficié du fait que les navires contournent Hong Kong, centre traditionnel de transbordement pour le commerce chinois, et se dirigent directement vers le coeur de la zone manufacturière du delta. La zone de développement économique et technologique de Guangzhou a bénéficié de ce changement.

Selon le Conseil mondial des transports maritimes, le volume conteneurisé du port de Hong Kong a diminué de 8% entre 2011 et 2013, passant de 24,38 millions à 22,35 millions d'équivalents vingt pieds (EVP). En fait, le port voisin de Shenzhen a surpassé Hong Kong pour la première fois en 2013, avec 23,28 EVP, ce qui équivaut à une croissance de 3% depuis 2011. Pendant la même période, Guangzhou a enregistré une croissance de 6% atteignant 15,31 millions EVP, et affichait un taux de croissance de 7,9 % en septembre 2014.

Certes, les agences régionales de développement du delta ont promu les ports continentaux; cependant, Hong Kong a subi des pertes en matière de capacité et de productivité, même après avoir misé sur les transbordements plutôt que sur les expéditions directes en raison de la concurrence entre les ports continentaux. Un rapport publié en octobre 2014 par CargoSmart, fait état d’une tendance grandissante à Hong Kong des retards dans les arrivages depuis mars 2014, alors que les retards à Shenzhen et Guangzhou ont été moins importants. La base de données sur la productivité portuaire du Journal of Commerce (JOC) révèle que Hong Kong figurait parmi les ports continentaux les moins biens classés en 2013.

La concurrence régionale pour le développement du commerce dans le delta a été féroce au cours des 20 dernières années, période de croissance rapide du centre manufacturier de la Chine. Hong Kong est resté un des principaux centres maritimes en termes de réglementation, taxation, compétences de la force de travail et d'installations respectueuses de l'environnement, selon la publication de l'OCDE, (The Competitiveness of Global Port-Cities: the case of Hong Kong – Chine, Merk and Li, 2013). Cependant, la différence de qualité qui a autrefois profité à Hong Kong par rapport aux ports continentaux a en grande partie disparu. Alors que les efforts déployés par les villes en faveur du développement du commerce ont miné la position de leader de Hong Kong, ils ont profité à la productivité et à la production manufacturière favorisant la croissance monumentale axée sur les exportations en Chine ces dix dernières années.

Les USA sont un autre cas de figure, avec la concurrence entre les ports de Los Angeles-Long Beach et Oakland, qui ont été en concurrence pendant des décennies. Le port d'Oakland a perdu de son importance dans les années 90, passant à la 11ème place du classement des plus grands ports du pays. Le succès du port de Los Angeles-Long Beach a entraîné une surcharge en termes de capacité et de main-d’oeuvre.

La congestion et les coûts posent problème en raison de l'augmentation de la demande saisonnière associée à la pénurie d'équipements, à l'accueil de navires de plus grande taille et aux conflits de travail qui provoquent des retards de sept à dix jours. Et la situation pourrait s'empirer. Selon un récent sondage mené par le JOC, 97% des expéditeurs sont touchés par la congestion du port de Los Angeles-Long Beach et que 67% d'entre eux s'attendent à ce que la situation se détériore. Un projet de modernisation du port d'Oakland daté de 2013 visait à transformer la base militaire désaffectée d'Oakland en un port intermodal ultra-efficace. Ce projet de $E.-U. 7,8 milliards devrait relier directement les navires aux installations ferroviaires, aux dépôts et aux docks, moderniser les routes et autoroutes menant jusqu'au terminal, améliorer la sécurité du trafic de marchandises et de passagers et réduire les émissions. Bien que ce plan innovateur ne soit encore en cours de préparation, il devrait vraisemblablement rendre plus efficace la chaine d’approvisionnement régionale; de plus, la concurrence pour le développement du commerce dirigé par la ville devrait favoriser les économies régionale et nationale.

Comme les anciennes structures du port de Hong Kong nécessitaient une amélioration des flux de commerce dans le delta de la rivière Perle, le développement du commerce dirigé par la ville dans la côte ouest des USA et ailleurs bénéficiera les expéditeurs ainsi que les économies régionales les plus importantes. Les efforts déployés sur le plan de la concurrence par Stamford Raffles il y a environ 200 ans ont favorisé la création de l'un des plus grands ports du monde, lequel à son tour soutien un écosystème de commerce régional efficace, ce qui illustre les bénéfices durables et de grande envergure du développement du commerce mené par les villes.