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Une évolution numérique comme la promesse d'un avenir radieux dans l'agriculture

24 juin 2024
Evelyn Seltier, Centre du commerce international

Evelyn Seltier du Forum du commerce s'est entretenue avec Michael Ocansey, le gagnant du tout premier concours de pitching organisé par l'ITC en 2017, pour savoir comment son entreprise Agrocenta a évolué depuis lors. En effet, lancée pour appuyer les petits exploitants agricoles en les mettant en relation avec de gros acheteurs, la start-up a bien changé sept ans plus tard.

 

Pour Michael, l'apprentissage et l'adaptation constante du modèle d'entreprise sont essentiels. Découvrez comment sa plateforme numérique a évolué pour offrir des services financiers dont l'impact a changé la vie de centaines de milliers d'agriculteurs dans les zones rurales du Ghana.

 

 

 

Michael Ocansey, Cofondateur d'Agrocenta, Ghana
© Abdul Raafi Mohammed / ITC / Fairpicture

Lorsqu'il s'agit de vendre ses produits au meilleur prix, les petits exploitants agricoles n'ont pas toujours le choix. Souvent, ils ne trouvent pas les bons marchés ou les bons acheteurs, et risquent parfois même d'être exploités par des intermédiaires. Lorsqu'ils cherchent à agrandir leurs surfaces cultivées pour augmenter leurs revenus ou répondre à la demande des acheteurs, ce sont généralement les appuis financiers qui font défaut, en raison du manque de confiance de la part des banques pour leur accorder des prêts lorsqu'ils vivent dans des communautés rurales marginalisées ou pauvres.

Pourtant, ces agriculteurs sont le pain et le beurre de leurs pays respectifs – souvent au sens propre du terme !

Des personnes comme Michael Ocansey, du Ghana, ont décidé de changer ce narratif.

Un pays façonné par l'agriculture traditionnelle modeste

Au Ghana, plus de 50 % de la main-d'œuvre travaille dans l'agriculture. Celle-ci contribue à 54 % du PIB du Ghana et représente plus de 40 % des recettes d'exportation, tout en assurant plus de 90 % des besoins alimentaires du pays. Un peu plus de 70 % des personnes employées dans le secteur agricole sont des petits exploitants vivant en zone rurale, qui pratiquent une agriculture traditionnelle et pluviale.

Depuis 2015, Michael et son associé Francis Obirikorang tentent d'identifier les pierres d'achoppement des petits exploitants agricoles du nord du Ghana, et de déterminer les moyens d'y remédier pour améliorer leur vie.

Depuis, ils ont énormément appris.

© Abdul Raafi Mohammed / ITC / Fairpicture

Relier les petits exploitants agricoles directement aux grands acheteurs : une excellente idée, jusqu'à ce que...

Au début, les deux pionniers de la start-up ont tenté de s'attaquer directement à l'accès au marché. Ils ont commencé par chercher à supprimer les intermédiaires en offrant une plateforme aux acheteurs souhaitant commander de gros volumes, et en mettant ces derniers en relation directe avec les agriculteurs.

C'est ainsi qu'Agrocenta a vu le jour en 2016. Au cours du premier trimestre 2017, les cofondateurs ont consacré leur temps à l'intégration des agriculteurs et à la signature de contrats avec quatre grands acheteurs. En mai 2017, ils ont commencé à acheter des produits de base à leurs agriculteurs en utilisant une plateforme en ligne, appelée Cropchain.

À la fin de l'année 2017, AgroCenta avait acheté auprès de 3 000 petits exploitants agricoles des produits de base d'une valeur de 120 000 dollars, aux prix du marché en vigueur et parfois à des prix plus élevés. En conséquence, les agriculteurs ont gagné quatre fois plus qu'auparavant et les paiements ont été rapides : 100 % à la commande. À ce stade, de nombreux petits exploitants ont enfin pu prendre mieux soin de leur famille et réinvestir un peu d'argent.

Le modèle d'entreprise s'est toutefois avéré difficile à maintenir.

Les agriculteurs nous l'expliquaient : « Nous avons les terres agricoles, mais mon argent ne me permet d'exploiter plus d'un hectare ».
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Tirer les leçons de l'expérience : passer aux paiements mobiles et aux solutions financières

« Le parcours a été riche en apprentissages sur le terrain. Au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que certaines choses devaient changer. Par exemple, en tant que start-up, nous avions un besoin immédiat de liquidités. Or, comme nous devions préfinancer les produits de base puis attendre 45 jours pour être payés par l'acheteur, le fait d'injecter constamment de l'argent dans nos achats de produits de base est devenu très coûteux. »

Un autre défi concernait la réponse à la demande des acheteurs, que les agriculteurs n'arrivaient pas honorer. La raison tenait au fait que la plupart des petits exploitants ne peuvent cultiver plus d'un hectare de terre.

« Les agriculteurs nous l'expliquaient : 'Nous avons les terres agricoles, mais mon argent ne me permet d'exploiter plus d'un hectare'. Nous leur avons donc demandé pourquoi ils n'agrandissaient pas la surface cultivée en demandant un prêt. Ils nous ont répondu : 'Les institutions financières estiment que nous présentons un risque élevé. Nous ne pouvons pas prouver à la banque que nous avons de l'argent parce que tous les paiements se font en espèces'. »

Pour les aider à accéder au financement et à rendre les agriculteurs solvables, Michael a introduit les paiements en monnaie mobile. Leur plateforme numérique a commencé à fournir une trace financière pour chaque agriculteur, qui a servi de relevé bancaire. Les institutions financières partenaires ont alors pu accéder à ces données pour prendre des décisions éclairées et accorder des crédits ou des prêts aux agriculteurs.

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Puis la pandémie de COVID-19 a tout changé

Avance rapide jusque 2020 : lorsque la pandémie de COVID-19 se propage, Michael et son associé n'ont d'autre choix que d'examiné leur modèle d'entreprise pour la troisième fois. Avec un accès limité au marché, il leur a fallu s'appuyer sur les solutions financières existantes pour aider encore davantage les agriculteurs.

C'est ainsi qu'est née leur plateforme de services financiers, toujours active aujourd'hui. Les paiements numériques pour les petits exploitants permettent d'accéder aux prêts. Agrocenta a également introduit des options numériques de retraite et d'épargne pour ces fermiers modestes qui, lorsqu'ils prennent leur retraite, ne savent souvent pas comment survivre.

« Au fil des ans, les ONG ont cherché des partenaires techniques. Heureusement pour nous, nous avons participé aux quatre projets de la Fondation Mastercard au Ghana et travaillé avec Enterprise Trustees, ce qui nous a permis de nous affirmer comme un partenaire digne de confiance. »

Michael et son associé ont également constaté que la plupart des petits exploitants agricoles avec lesquels ils travaillent ne savent ni lire ni écrire, et n'ont pas de smartphone pour utiliser leur application. Pour atteindre ce groupe démographique, ils ont embauché des agents de terrain, titulaires d'un diplôme en agriculture, capables d'utiliser l'application au nom des agriculteurs.

© Abdul Raafi Mohammed / ITC / Fairpicture

Avance rapide jusqu'à aujourd'hui

Michael a remarqué que les coopératives comptent désormais des membres de plus en plus jeunes. « Les jeunes s'intéressent à l'agriculture, car ils voient des revenus potentiels dans la possession d'exploitations agricoles et l'exportation. Ils savent lire et écrire, possèdent un smartphone et savent comment utiliser notre technologie. Ainsi, au lieu de dépendre d'un agent, nous faisons désormais appel à de jeunes membres de la coopérative qui maîtrisent la technologie pour saisir toutes les informations sur la plateforme. Nous les appelons les membres du comité numérique. »

Cette approche a permis à Agrocenta de réduire sa dépendance à l'égard des agents de terrain, d'économiser de l'argent sur les téléphones et du temps, tout en créant des emplois pour 700 jeunes dans les communautés agricoles.

Aujourd'hui, Agrocenta se concentre sur l'autonomisation des coopératives en les aidant à s'enregistrer et en mettant en place la structure de gouvernance adéquate. Les coopératives ont ainsi plus de poids pour accéder au financement et aider les femmes à accéder à la propriété foncière afin de démarrer une exploitation agricole.

Les jeunes s'intéressent à l'agriculture, car ils voient des revenus potentiels dans la possession d'exploitations agricoles et l'exportation.
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Et après ?

« Nous voulons nous étendre aux huit autres régions du Ghana et à d'autres produits de base. Nous continuons à collecter des fonds et espérons conclure avant la fin de l'année. »

Agrocenta compte actuellement 300 000 petits exploitants agricoles sur sa plateforme et développe une présence au Burkina Faso. Son objectif est d'atteindre 800 000 agriculteurs d'ici la fin de 2024, puis 1,5 million d'ici la fin de 2025.

« Notre objectif principal a toujours été d'aider les petits exploitants à se transformer en agriculteurs commerciaux, car cela augmente leurs revenus et leur permet ensuite de réinvestir davantage dans leur entreprise. Lorsque nous y parviendrons, nous saurons que nous avons réussi en tant qu'entreprise. »

© Abdul Raafi Mohammed / ITC / Fairpicture
Agents de formation à Wenchi, Ghana
© Agrocenta

Le conseil de Michael aux entrepreneurs en herbe

« La participation à des concours de pitching est une bonne chose pour vous, car cela vous donne de la visibilité et peut vous ouvrir des portes pour obtenir davantage de financement. Si vous gagnez, le prix vous permet également de ne pas perdre trop de capital.

Il n'y a pas de mal non plus à pivoter si votre modèle d'entreprise initial ne convient plus. Le modèle d'entreprise avec lequel nous avons commencé en 2017 est très différent de celui que nous avons aujourd'hui en 2024. »