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Démystifier la mode éthique avec Stella Jean

6 mai 2015
ITC Nouvelles

Le Forum du commerce international discute mode et développement avec la styliste italo-haïtienne Stella Jean, et aborde son passage des passerelles à la planche à dessin

Forum du commerce: vous avez commencé comme mannequin avant de passer à la création de vêtements et accessoires. Pourquoi avez-vous changé d'orientation?
STELLA JEAN: Au début, j'ai travaillé de l'autre côté de la barrière comme mannequin, mais très vite j'ai compris que ma vraie vocation était du côté créatif, en tant que styliste. J'étais au bon endroit, mais pas à la bonne place. Je ne regrette pas mon passé de mannequin, car il a contribué à faire de moi ce que je suis. Ma passion pour la mode vient du besoin de trouver ma propre manière de m'exprimer. La mode est le moyen de communication le plus authentique, à travers lequel j'ai pu exprimer et résoudre le sentiment d'inadéquation qui m'a guidée les premières années de ma vie.

TF: FC: Comment travaillez-vous avec les personnes et les communautés dans les PED?
SJ: Il s'agit d'artisanat de luxe produit de manière éthique par les communautés défavorisées, créant des emplois et une infrastructure où le commerce de la mode de luxe peut se développer et produire. Grâce à mes contacts, j'ai trouvé un trésor rare dans les mains de femmes extraordinaires qui racontent, avec dignité et beaucoup de travail, une mosaïque culturelle et créative sans aucune sorte de mystification. Ce sont d'excellentes tisserandes, capables de créer des tissus exquis. Des gens que j'ai rencontrés lors de mes voyages, dans leurs villages, m'ont montré qu'il existe un avenir durable pour la mode. Aujourd'hui, l'artisanat exprime un nouveau concept de mode lente et de luxe responsable. Mais le changement doit d'abord s'opérer dans chacun de nous, dans nos esprits. C'est une question de choix, d'information, de diversité et, en même temps, d'identité culturelle. Cela peut englober toutes les étapes: la création, la production et la consommation.

FC: Quel est l'impact de votre travail sur les vies des personnes avec lesquelles vous travaillez dans le cadre de l'Initiative pour la mode éthique de l'ITC?
SJ: 'Pas de charité, juste du travail' est le slogan de l'Initiative pour la mode éthique (EFI) de l'ITC, que je soutiens pleinement. Il s'agit de gérer une entreprise de manière correcte, durable et respectueuse de l'environnement. Il s'agit de promouvoir un développement économique durable et des opportunités d'affaires dans des pays qui n'ont pas besoin de charité.

FC: Comment vos origines haïtiennes ont-elles influencé votre travail dans la mode et votre collaboration avec l'EFI?
SJ: Mes origines m'ont toujours grandement inspirée, et Haïti étant ma deuxième maison, c'est comme s'il faisait partie de mon ADN. Lorsque j'ai visité Haïti pour la première fois, le pays n'était pas encore un centre de production, mais l'ITC avait une équipe de professionnels sur place pour gérer les groupes communautaires d'artisans.

Grâce à ma collection SS2015 et au soutien de l'ITC, nous avons pu connaitre l'art naïf traditionnel haïtien, découvrir ce rare trésor d'artisanat de qualité et avoir l'occasion de créer ces pièces en collaboration directe avec les artisans locaux. Les fruits en papier mâché sont produits à Jacmel, capitale culturelle d'Haïti et berceau du plus grand carnaval du pays, pour lequel les artisans locaux créent masques et décors colorés en papier mâché.

Les bracelets en corne sont produits à l'atelier de Port-au-Prince par environ 50 artisans spécialisés en matériaux tels que corne et os. Ce sous-produit animal est lavé, coupé, façonné et poli à la perfection pour aboutir à une surface douce et brillante. La collection de bijoux en fer forgé a été produite dans différents ateliers qui font partie d'une grande communauté d'artisans fabriquant des bijoux en métal à Croix-des-Bouquets, en périphérie de Port-au-Prince. Là-bas, les forgerons locaux ont forgé pendentifs et bracelets à partir de bidons d'huile recyclés en utilisant simplement un marteau et leur force physique pour réaliser la création.

FC: D'où vient votre inspiration?
SJ: Des femmes de ma famille. Je puise mon inspiration dans ma propre histoire. Mes racines et mon histoire ont toujours joué un rôle dans mon travail. C'est pourquoi j'ai décidé de matérialiser mon expérience personnelle en mélangeant une chemise de mon père pour symboliser mes racines européennes et des tissus africains qui représentent mes racines africaines d'Haïti, l'île où est née ma mère, première république noire indépendante du monde.

Quand j'ai mis ces deux éléments ensemble j'ai enfin obtenu ma 'Wax & Stripes Phylosophy', dans laquelle les motifs africains font référence aux racines haïtiennes de ma mère et les bandes masculines à mon père, qui est italien. Ma force a été de raconter une histoire vraie, authentique, pour la première fois.

FC: Comment pensez-vous que la mode peut changer la vie des gens?
SJ: Cela ne sera pas facile ni rapide, mais je crois que chaque personne prend conscience qu'un changement vers cette approche est opportun, inévitable et nécessaire. Comme l'a dit la [Directrice exécutive de l'ITC] Arancha González à l'occasion de l'évènement 'Le pouvoir des femmes autonomes en 2014' aux Nations Unies à Genève: 'Vous ne pouvez pas changez ce que vous ignorez, mais une fois que vous l'avez compris, vous ne pouvez pas vous soustraire au changement.'
J'aimerais réussir à faire en sorte que les gens comprennent que chaque personne a [sa] propre dignité et mérite d'être respectée et non pas tolérée. Vous pouvez tolérer un mal de ventre, pas une personne!

FC: Quel est le programme/visite de l'EFI qui vous a le plus impressionné et pourquoi? Quelle est l'influence de l'EFI sur votre carrière dans la mode et sur vos créations?
SJ: Tout a commencé grâce à mon mentor Simonetta Gianfelici [représentante de la marque Altaroma pour l'Initiative pour la mode éthique] qui m'a présenté Simone Cipriani (qui dirige l'initiative de l'ITC). Avec Simone, c'était le coup de foudre. C'est un homme charismatique avec une grande empathie et de grandes idées. J'ai vu ses idées prendre forme devant mes yeux. Il est aussi créatif que pragmatique. Il m'a donné les outils pour réfléchir au-delà de l'esthétique.

FC: Quels sont vos espoirs pour l'avenir? Comment envisagez-vous que la mode continue à changer la vie des gens?
SJ: Si nous pouvons mélanger, dans un vêtement, des éléments des cultures les plus diverses et les plus éloignées avec un résultat satisfaisant, nous pouvons adopter cette juxtaposition de cultures dans la vraie vie. Avec mon travail, j'offre un point de vue, qui est le mien; j'espère que d'autres le partageront à l'avenir. Si j'arrivais à toucher le coeur d'une seule personne, à faire comprendre aux gens dans quelle direction je pense que nous devrions aller, ce serait déjà un grand accomplissement personnel.