Interview Dadaab Collective
Entretiens

Pour les artisans réfugiés, une vie par-delà les frontières

21 juin 2023
Entretien avec Athar Hajir Abdi, Présidente de Nyota Farsamo

Le Forum du commerce s'est entretenu avec Athar Hajir Abdi, Présidente de Nyota Farsamo, un collectif d'artisans somaliens et kényans de Dadaab, au sein duquel des femmes réfugiées fabriquent de magnifiques produits artisanaux pour le marché mondial.

 

Situé dans le nord-est du Kenya, Dadaab est l'un des plus grands camps de réfugiés au monde. Face à un afflux récent supplémentaire de centaines de milliers de personnes, il est plus que jamais impératif d'autonomiser les personnes déplacées qu'il accueille. C'est précisément ce que fait ce collectif : donner aux femmes les moyens de reprendre en main leur vie en leur donnant un nouveau départ.

Q : Parlez-nous un peu du collectif.

Le Centre du commerce international (ITC) et le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) appuient notre fondation depuis 2018, en tant que groupe d'entraide dans le camp de Dadaab.

En collaboration avec des partenaires de mise en œuvre, l'ITC nous a rassemblés, nous nourrissant en tant que collectif pour transformer nos compétences de base en compétences contemporaines. L'Initiative pour l'emploi et les compétences des réfugiés ainsi que le programme Area Based Livelihood Initiative - Garissa nous ont mis en relation avec les marchés à un niveau tel que nous sommes désormais des acteurs clés du secteur artisanal au Kenya.

La production du collectif nous donne de la visibilité, le sens de faire partie d'une communauté, et l'opportunité de participer à la chaîne de valeur des produits artisanaux au Kenya et au-delà. Nos membres ont l'opportunité de former et d'encadrer d'autres femmes du camp, ce qui a un impact positif sur leur vie car elles travaillent ensemble pour affiner leurs compétences et leur expertise.

Interview Dadaab Collective
Interview Dadaab Collective

Nyota Farsamo est composé de 48 femmes artisanes et de deux hommes charpentiers. Ensemble, nous fabriquons des produits magnifiques, faits à la main, et inspirés de notre héritage somalien commun.

Nyota signifie « étoile » en swahili et Farsamo « artisan » en somali. Ce mélange des langues, somali et swahili, reflète la culture mixte du collectif. Grâce à notre travail manuel, nous espérons partager la beauté et l'histoire de notre culture, tout en améliorant la difficile situation dans laquelle nous nous trouvons à Dadaab.

Les cinq groupes d'entraide qui composent le collectif sont les suivants : Handlloom Women Group, Hawa Naf Group, Sumeya Cultural Group, Daryel Women Group et Wamo Women Group. Chaque groupe est composé de 10 artisans et est dédié à apporter une réponse aux défis spécifiques de Dadaab – en particulier ceux qui touchent les femmes.

Entretien avec le HCR
Une membre du collectif Nyota Farsamo tisse un panier dans le centre. Fondé en 2018, Nyota Farsamo est un collectif rassemblant des artisans kényans et somaliens. Il a été créé par l'ITC à Dadaab, une ville du nord-est du Kenya transformée en camp de réfugiés en 1991.
© UNHCR/Charity Nzomo

Q : Comment le collectif change-t-il la vie des femmes qui y participent ?

Le collectif permet aux femmes d'acquérir des compétences en matière d'entrepreneuriat et de création de produits appréciés sur les marchés internationaux. Au fil des ans, nous avons touché plus d'une centaine de femmes.

Le collectif leur donne de l'espoir, leur rend leur dignité, et leur offre la possibilité de s'affranchir des frontières qui leur ont été imposées, que ce soit sur le plan économique, social ou politique.

En tant que réfugié, vous vivez au jour le jour. C'est de la survie. En tant que femme, vous êtes confrontée à des défis qui vont au-delà des droits de l'homme, avec par exemple les abus sexuels et la dépendance à l'égard de votre mari. Aujourd'hui, à Dadaab, nous en sommes à la deuxième génération, parfois même déjà à la troisième génération de personnes déplacées. Rien n'indique qu'un jour nous pourrons rentrer chez nous.

Avec toutes les crises nouvelles qui surgissent ces derniers temps dans le monde, les financements se sont réduits, ce qui complique encore davantage nos chances de trouver des solutions à ces défis interconnectés que sont le logement, la santé et la discrimination.

Le collectif a cependant un impact énorme. Il aide les femmes sur le plan économique, ce qui leur permet de recouvrer un peu de liberté. Elles peuvent nourrir leurs enfants, leur donner une éducation. Notre collectif est également synonyme d'appui et d'appartenance à un foyer alors qu'on est loin de chez soi. Avec un peu d'argent en poche, les femmes sont en mesure de quitter des relations abusives ou d'acheter des produits de première nécessité tels que de l'eau, de la nourriture et des vêtements, de sorte que l'effet économique se répercute sur leur dignité d'être humain.

Q : Quels sont vos projets pour renforcer le collectif et toucher davantage de femmes ?

Tout d'abord, nous souhaitons poursuivre notre développement par l'extension de notre réseau de marchés et par de nouvelles collaborations. En ce moment, nous nous efforçons de rejoindre l'initiative Made51 du HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés.

Cette initiative fournit des liens utiles avec les marchés, ce qui pourrait constituer un appui pour notre collectif, et même lui apporter une certaine stabilité. Son principe est d'acheter des produits fabriqués par des réfugiés pour les revendre ensuite sous la marque Made51.

Interview Dadaab Collective
During market linkage tour in Nairobi - Athar, the Collective's chair woman, second from right
Interview Dadaab Collective

Ensuite, nous prévoyons d'ouvrir des points de vente à Dadaab, à Garissa et à Nairobi.

Enfin, nous aimerions améliorer la qualité des produits, les mettre à la mode et les rendre plus respectueux de l'environnement.

J'espère que notre collectif Nyota Farsamo aura un impact positif sur l'ensemble de la communauté du camp de Dadaab pendant encore longtemps. J'espère aussi qu'il servira d'exemple, de la manière dont le travail en commun au sein d'une communauté crée de la croissance.

DADAAB AUJOURD'HUI – QUELQUES FAITS ET CHIFFRES

Dadaab est l'un des plus grands camps de réfugiés au monde. Situé au nord-est du Kenya, il comptait en février de cette année plus de 320 000 réfugiés. Le camp a été créé à la suite de la guerre civile de 1991 en Somalie. Trente ans plus tard, le camp abrite des réfugiés somaliens de première, deuxième et troisième génération, répartis dans quatre campements, mais aussi les Kényans vivant dans la ville de Dadaab.

La région de la Corne de l'Afrique, qui comprend l'Éthiopie, la Somalie et le Kenya, est confrontée à la sécheresse la plus longue et la plus grave depuis 40 ans. L'échec sans précédent de cinq saisons des pluies consécutives pousse des millions de personnes vers la famine.

Décrivant les raisons pour lesquelles les réfugiés continuent d'affluer vers Dadaab, le responsable de la communication du HCR explique qu'ils « sont les victimes de ce mélange d'éléments toxiques : changements climatiques, conflits et déplacements – ils souffrent en raison d'éléments qui échappent totalement à leur contrôle ».

Source : HCR