Discours

Comment le genre affecte-t-il la participation des PME au commerce international ?

30 janvier 2018
ITC Nouvelles
Discours liminaire prononcé par la Directrice exécutive de l’ITC Arancha González.
Université Queens
Kingston, Canada - 16 octobre 2016

Mesdames et Messieurs,

J’ai le plaisir de me retrouver ici aujourd’hui pour discuter de sujets très pertinents pour l’atteinte des objectifs du Programme de développement à l'horizon 2030 de l’ONU – le commerce, le genre et les PME. Ce soir, je voudrais en particulier mettre l’accent sur la question de savoir s’il existe une dimension de genre dans la participation des PME au commerce international et, deuxièmement, sur la manière dont les acteurs internationaux devraient intégrer le genre dans leur analyse des outils de politique commerciale et des marchés ayant un potentiel.

Existe-t-il une dimension de genre dans la participation des PME au commerce international ?

Le consensus est large sur le fait que le commerce international joue un rôle essentiel dans l’évolution des performances et des perspectives économiques et sociales des pays du monde entier, en particulier des pays en développement.

Le commerce donne aux pays l’accès aux nouvelles technologies disponibles sur le marché mondial, ce qui renforce les incitations à l’innovation. De même, le commerce crée de nouvelles possibilités d’emploi avec l’expansion des secteurs d’exportation et apporte des changements structurels qui augmentent le taux d’emploi des travailleurs moins qualifiés dans le secteur informel.

Aujourd’hui, il est également bien connu que dans les pays en développement comme dans les pays développés, les PME constituent la plus grande partie du secteur privé et offrent une grande majorité d’emplois.

Les PME formelles et informelles représentent 95 % de l’ensemble des entreprises dans le monde, environ 50 % du PIB mondial et plus de 70 % des emplois totaux.

Les PME jouent un rôle crucial dans la performance de l’économie canadienne et du commerce international. Les petites entreprises représentent 98 % de toutes les entreprises au Canada, 30 % du PIB, 90 % des exportateurs canadiens et environ le quart de la valeur totale des exportations.

Donner la possibilité aux PME de commercer et d’investir sur le plan international peut stimuler la croissance économique et la productivité, ce qui à son tour augmentera les bénéfices tirés du commerce. L’amélioration de la performance des PME pourrait également améliorer la répartition des revenus dans nos pays. Enfin, une plus grande participation des PME au commerce peut favoriser la formalisation et créer des emplois mieux rémunérés.

Étant donné que près de 40 % de toutes les PME appartiennent à des femmes, aider ces entreprises à se connecter aux chaînes de valeur internationales peut amplifier les avantages mentionnés ci-dessus. De plus, l’augmentation de l’entrepreneuriat féminin peut contribuer à la lutte contre les inégalités et la pauvreté, car la pauvreté a également un visage féminin.

Le développement économique et l'égalité des sexes vont de pair. Les sociétés dans lesquelles l’inégalité des revenus et des sexes est plus faible offrent non seulement de meilleures opportunités socio-économiques aux femmes, mais tendent aussi à se développer plus rapidement.

Le dernier rapport sur le développement humain en Afrique révèle que la discrimination économique et sociale contre les femmes coûte à l’Afrique 105 milliards de dollars par an, soit 6 % de son produit intérieur brut. La réduction de cet écart entre les sexes entraînerait un boom pour les perspectives économiques et sociales du continent.

Cependant, étant donné que les hommes et les femmes ont des compétences, des défis et des rôles différents dans l’économie et la société, et qu’ils n’ont pas tous le même accès et le même contrôle sur les ressources, l’impact des politiques commerciales n’est pas non-sexiste.

L’adaptation relativement médiocre des femmes aux défis et aux opportunités des marchés intégrés est l’un des facteurs les plus importants qui expliquent pourquoi les politiques commerciales sont dévaforables aux femmes. Ce problème est plus pertinent dans les pays en développement.

En fait, l’ITC a récemment publié une étude portant sur 20 pays en développement, qui a révélé non seulement que le genre a un effet significatif sur la participation des PME au commerce international, mais aussi qu’il existe des disparités frappantes entre la participation des hommes et des femmes au commerce.

À titre illustratif, permettez-moi de partager avec vous quelques chiffres tirés de l’étude :

Dans les 20 pays couverts, un nombre réduit de femmes entrepreneurs participent au commerce. Seulement 20 % des sociétés de commerce interrogées dans les pays en développement sont détenues ou gérées par une femme.

En outre, les entreprises d’exportation détenues ou gérées par des femmes sont moins susceptibles d’effectuer des opérations d’importation que leurs homologues masculins. Alors que près de 60 % des entreprises d’exportation détenues et gérées par des hommes importent également des biens, la part est juste d’un peu plus de 50 % pour les entreprises d’exportation détenues ou gérées par des femmes.

De même, l’étude a examiné la relation entre le financement, le développement et le commerce des PME et a montré que les femmes éprouvent plus de difficultés que leurs homologues masculins à lever des fonds, à être compétitives et à accéder aux marchés.

Comme nous l’avons déjà mentionné, ces différences entre les sexes s’expliquent souvent par le fait que les entreprises détenues par des femmes ont tendance à être plus petites que les entreprises détenues par des hommes et manquent donc souvent de ressources pour leur expansion dans les marchés mondiaux.

Mais pourquoi est-ce le cas ? Est-ce parce que les femmes préfèrent rester dans les activités réduites et informelles ou sont-elles contraintes à le faire ?

La réponse est probablement la deuxième proposition. Diverses raisons expliquent la sous-représentation des entreprises détenues par des femmes dans le commerce international et elles varient d’un pays à l’autre.

Permettez-moi de vous présenter trois raisons majeures qui empêchent de nombreuses femmes entrepreneurs d’accéder aux chaînes de valeur internationales et de transformer leurs activités en activités à plus forte valeur.

Biais réglementaires. Les obstacles réglementaires et juridiques sont l’une des principales raisons qui expliquent la faible intégration des PME détenues par des femmes sur les marchés internationaux. En effet, le rapport « Women, Business and the Law 2016 » de la Banque mondiale révèle que 90 % des 173 pays étudiés ont au moins une loi discriminatoire à l'égard des femmes.

Dans de nombreuses économies, les obstacles réglementaires limitent le droit des femmes au travail et à la propriété de biens. C’est particulièrement vrai au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, où l’enregistrement d’une entreprise par une femme requiert souvent l’autorisation d’un tuteur masculin.

Les politiques nationales portant sur la propriété foncière et l’égalité des droits de propriété et de location contribuent à éliminer ces contraintes. Toutefois, dans la pratique, les politiques foncières nationales sont politiquement contraignantes et difficiles à mettre en œuvre.

Obstacles de procédure. Les Perspectives de compétitivité des PME 2016 récemment publiées par l’ITC rapportent que les entreprises exportatrices détenues par des femmes déclarent que dans beaucoup de segments de marchés les procédures sont perçues comme un obstacle à leurs activités commerciales par rapport des hommes, même lorsque les normes sont les mêmes.

Les microentreprises détenues par des femmes rencontrent particulièrement plus d’obstacles de procédure en raison des « problèmes d’information et de transparence », des « paiements informels ou élevés » et des « comportements discriminatoires » comparées aux microentreprises détenues par des hommes.

Préjugés culturels. Les rôles sexospécifiques fondés sur la culture touchent les femmes dans les pays en développement et les pays développés comme le Canada, où la majorité des PME exportatrices canadiennes se sont aperçues que le genre joue un rôle dans le fonctionnement et l’internationalisation de leurs entreprises. En effet, un rapport des Nations unies sur les femmes dans le monde révèle que, à l’échelle mondiale, les femmes consacrent au moins deux fois plus de temps que les hommes au travail domestique non rémunéré. Cela empêche considérablement les femmes de participer pleinement à l’économie. Par conséquent, les entreprises détenues par des femmes sont moins susceptibles de s’internationaliser.

D’autres aspects de ce préjugé comprennent :

Contraintes de temps imposées aux femmes cadres. La participation plus élevée des femmes aux travaux domestiques non rémunérés, les confronte souvent à un compromis entre le travail et la famille. Néanmoins, en raison des normes et des valeurs culturelles de nombreux pays, les femmes sont encore contraintes à quitter leur emploi une fois qu’elles ont des enfants, car elles continuent d’assumer le fardeau des tâches domestiques. En conséquence, les femmes sont souvent contraintes de créer leurs propres entreprises, généralement informelles, en l’absence de possibilités d’emploi.

Accès limité aux ressources productives comme le financement et la terre. L’accès des femmes au financement est réduit parce qu’elles disposent de moins de garanties physiques et acceptables. En d’autres termes, les femmes possèdent moins de biens et d’actifs et peuvent également avoir des historiques de crédit plus faibles que les hommes. Cela peut expliquer pourquoi elles sont concentrées dans des entreprises à faibles capitaux.

Accès limité à l'information et aux réseaux. Les préjugés culturels et les normes sociales empêchent également de nombreuses femmes d'adhérer à des réseaux commerciaux formels qui facilitent généralement le ciblage et l'exploitation des débouchés commerciaux. Les femmes ont plutôt tendance à recourir davantage aux contacts informels et personnels.

L’ensemble de ces obstacles peut expliquer la raison pour laquelle les entreprises détenues par des femmes sont généralement plus petites et moins productives que celles dirigées par des hommes.

En raison de leur petite taille, les entreprises détenues par des femmes souffrent également de manière disproportionnée des coûts fixes liés au commerce, tels que les mesures non tarifaires (MNT). La raison en est toute simple : Les MNT telles que les normes ou les longues procédures douanières entraînent souvent des coûts de transaction plus élevés pour les exportateurs. Dans le cas des PME qui ont tendance à effectuer de faibles transactions, la conséquence est le coût unitaire élevé par rapport aux entreprises qui exportent des quantités plus importantes. Étant donné que les entreprises détenues par des femmes sont généralement plus petites que celles détenues par des hommes, les MNT touchent plus durement les femmes que les hommes.

Je pense qu’à ce niveau, la réponse à ma première question devrait être évidente : il existe une dimension de genre dans la participation des PME au commerce international.

Comme je l'ai déjà mentionné, les PME jouent un rôle important dans la garantie d'une répartition plus équitable des gains commerciaux, tout comme les femmes. C’est pourquoi nous sommes convaincus, à I’ITC, qu’il est plus important que jamais de connecter les PME détenues par des femmes aux marchés mondiaux.

Ainsi, comment pouvons-nous résoudre ces problèmes et permettre aux femmes de participer au commerce et d’en tirer les mêmes bénéfices que les hommes ?

Nous pouvons œuvrer de plusieurs manières pour parvenir à une plus grande équité et égalité entre les sexes. Jusqu’à présent, la plupart des initiatives entreprises par les institutions d’appui au commerce et à l’investissement (IACI), les gouvernements, les multinationales, les organisations internationales et les ONG pour fournir aux entreprises détenues par des femmes l’accès aux marchés reposent sur un ensemble de mesures visant à faciliter l’accès au financement, à faciliter l’accès aux informations sur le marché et aux réseaux, ainsi que sur le renforcement des capacités et la formation.

Toutefois, l’établissement d’un environnement favorable à un commerce inclusif et durable va plus loin que cela, il nécessite également des innovations dans le domaine du commerce international.

Cela m’amène directement à la deuxième question : Comment intégrer le genre dans notre analyse des outils de politique commerciale et des marchés potentiels ?

Les expériences récentes en matière d’ouverture du commerce et leurs effets sur l’égalité des sexes plaident fortement en faveur de la nécessité d’intégrer les dimensions de genre dans la conception et la mise en œuvre de la politique commerciale globale.

L’autonomisation économique des femmes doit faire partie intégrante de la politique commerciale, non seulement parce qu’elle crée de l’emploi, mais aussi parce que les femmes réinvestissent jusqu’à 90 % de leurs revenus dans leur famille et leur communauté, ainsi elles constituent un outil puissant permettant de lier le commerce au développement. Par conséquent, l’intégration de la perspective de genre dans notre analyse de la politique commerciale et dans les accords connexes est un élément essentiel d’un cadre politique de développement intégré.

Il existe plusieurs instruments politiques fournissant des points d’entrée spécifiques pour l’intégration des dimensions de genre dans la politique commerciale internationale.

Permettez-moi d’en aborder quelques-uns :

Premièrement, l’intégration des perspectives de genre dans le processus d’ouverture de marché est un moyen qui permet de s’assurer que les femmes sont traitées de manière équitable du commerce international.

Au niveau bilatéral et régional, certains accords de libre-échange comportent une clause sociale : une disposition visant à insérer, dans une certaine mesure, des réglementations et des questions de travail ainsi que d’autres questions liées à la pauvreté, à la protection des minorités et au développement social en général.

Toutefois, afin d’assurer des gains inclusifs dans le commerce et de relever les défis particuliers auxquels les femmes sont confrontées, la voie à suivre dans les accords de libre-échange devrait être davantage axée sur les questions de genre, par exemple, par l’intégration de clauses spécifiques sur le genre.

Le Chili et l’Uruguay ont inclus un chapitre entier relatif aux dispositions sur l’égalité des sexes dans leur accord de libre-échange récemment signé : ils ont non seulement reconnu l’importance de renforcer les possibilités offertes aux femmes de participer à l’économie internationale pour stimuler une croissance économique durable dans leur pays, mais ont également appelé à la création d’un comité pour l’égalité des sexes chargé de superviser l’intégration du genre dans la mise en œuvre de leur accord commercial.

La dimension de genre devrait figurer dans l’analyse des intérêts offensifs et défensifs à l’entame d’une négociation commerciale et éclairer les positions de négociation. Pour ce faire, la présence de données ventilées par sexe est requise.

Les domaines d’intérêt particulier comprennent les mesures non tarifaires, notamment les règles d’origine ainsi que les engagements relatifs aux services ou les marchés publics. Ceci pas parce que ces domaines exigent des « règles sur l’égalité des sexes », mais bien parce que les règles et les engagements sont élaborés dans une perspective spécifique de genre.

En outre, les répercussions de ces accords sur la promotion de l’autonomisation économique des femmes devraient être régulièrement suivies et inclues dans les mécanismes d’examen des politiques commerciales de l’OMC.

Enfin, la conclusion d’accords commerciaux bilatéraux ou de préférences commerciales unilatérales pourrait être subordonnée à la suppression des discriminations juridiques en faveur de l’autonomisation économique des femmes.

Deuxièmement, les cadres multilatéraux d’aide au développement, notamment l’Aide pour le commerce, fournissent d’autres points d’entrée permettant d’intégrer des perspectives de genre dans le renforcement des capacités commerciales. Le Cadre intégré renforcé, un programme multidonateurs qui aide les PMA à devenir plus actifs dans le système commercial mondial en leur permettant de s’attaquer aux contraintes commerciales qui pèsent sur l’offre, a reconnu la nécessité de surmonter les contraintes commerciales sexospécifiques et, avec l’appui de l’ITC, a intégré les questions de genre dans tous ses projets.

Le renforcement de la compétitivité des PME détenues par des femmes et leur connexion aux marchés régionaux et mondiaux s’inscrit au cœur des actions que nous menons au Centre du commerce international avec l'appui inestimable du Canada. Notre initiative SheTrades vise à galvaniser les efforts mondiaux afin de connecter un million de femmes entrepreneurs au marché d’ici 2020.

Grâce à l’application mobile SheTrades, les femmes entrepreneurs peuvent partager des informations sur leurs entreprises, accroître leur visibilité, étendre leurs réseaux, se connecter et s'internationaliser. Grâce à notre Plateforme mondiale d’action pour l’approvisionnement auprès des fournisseurs et prestataires femmes, nous aidons nos partenaires qui achètent pour plus de 1 000 milliards de dollars, des biens et services d'un réseau de plus de 50 000 fournisseuses. Par ce moyen, nous concourons à concrétiser l’engagement d’augmenter le volume des achats auprès des entreprises détenues par des femmes.

Enfin et surtout, les plate-formes multilatérales et les forums intergouvernementaux tels que les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies et le Women20 (W20) sont essentiels pour encourager les discussions et les actions relatives au genre parmi les experts et fournir une bonne base pour l'atteinte d'un consensus.

De même, la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) a intégré des discussions et des évaluations sur la manière dont les accords commerciaux bénéficient aux femmes et aux hommes dans ses forums, et s’efforce de promouvoir l’autonomisation économique des femmes et leur inclusion dans l’économie régionale par le biais de son Partenariat politique sur les femmes et l’économie.

La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) reconnaît que l’égalité des sexes est un droit de l'homme fondamental pris en compte dans l’intégration régionale et de la croissance économique. Cette prise en compte se traduit par l’adhésion et la ratification des cadres qui promeuvent les droits fondamentaux des femmes, tels que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

Cependant, alors que les politiques commerciales interagissent et sont mutuellement affectées par de nombreuses autres politiques nationales et par plusieurs facteurs internationaux, il est nécessaire d’améliorer la cohérence globale et de favoriser une approche plus coordonnée afin d’éliminer plus rapidement les obstacles auxquels se heurtent les femmes entrepreneurs.

Permettez-moi de conclure en disant qu’il est aujourd’hui plus que jamais impératif que tous les acteurs travaillent ensemble pour faire de l’égalité des chances économiques entre les hommes et les femmes une réalité. Il est dans l’intérêt commun de tous de lever les barrières qui empêchent les femmes de participer pleinement au commerce et d’en tirer des bénéfices. Plus la situation des femmes sera favorable, mieux le monde ira.

Je vous remercie.