Avis d'experts

Saisir les opportunités dans un environnement commercial difficile

24 juin 2024
Ngozi Okonjo-Iweala, Directrice générale, Organisation mondiale du commerce

Les dernières années ont été difficiles pour le commerce mondial, entre la pandémie de COVID-19, les tensions géopolitiques, les barrières commerciales et les conflits, sans parler de la crise climatique.

Et pourtant, le commerce résiste.

 

En 2023, le commerce mondial de biens et de services s'élevait à 30 400 milliards de dollars, tout près d'un record historique. À la fin de l'année dernière, le commerce de marchandises était supérieur de 6 %, en volume, au pic atteint avant la pandémie en 2019. La valeur du commerce des services était en hausse de 21 % par rapport aux niveaux prépandémiques.

© OMC

Un commerce résilient face aux chocs

Les graines de cette résilience ont été semées au fil des décennies, depuis la création de l'Organisation mondiale du commerce il y a trente ans – un demi-siècle après la conférence de Bretton Woods de 1944 qui avait débouché sur la création d'un système commercial multilatéral sur la base de règles communes.

Les liens transfrontaliers en matière de commerce et d'investissement développés au cours d'années d'ouverture de marchés internationaux prévisibles ont bien résisté, pour la plupart, aux multiples chocs, de la crise financière mondiale à la pandémie, en passant par la guerre en Ukraine.

L'augmentation des échanges commerciaux s'est accompagnée d'une amélioration du bien-être humain. Au cours des trente dernières années, la valeur du commerce mondial a presque quintuplé et une croissance plus rapide fondée sur le commerce a permis à plus d'un milliard et demi de personnes de sortir de l'extrême pauvreté.

Entre 1995 et 2022, les économies à revenu faible et intermédiaire ont doublé leur part dans les exportations mondiales, passant de 16,5 % à 32 %, et la part de leur population vivant avec moins de 2,15 dollars par jour a chuté de 40 % à 10 %.

Les pays riches ont également bénéficié d'opportunités d'exportation accrues, d'un meilleur accès aux intrants et d'une augmentation du pouvoir d'achat, en particulier au bas de l'échelle de la répartition des revenus. Les chercheurs de l'Institut Peterson ont constaté que le commerce international a stimulé le PIB des États-Unis de 10 % à partir de 2022, ce qui équivaut à 19 500 dollars par ménage et par an.

Un virage protectionniste menacerait les perspectives de développement

Néanmoins, il nous faut également reconnaître que tout le monde n'a pas profité de ces avancées. De nombreux pays pauvres, en particulier en Afrique, n'ont pas été en mesure d'exploiter les marchés internationaux en pleine croissance. Dans certains pays riches, de nombreuses personnes et régions pauvres ont été laissées pour compte par les changements économiques et sociaux.

Ces derniers ont notamment contribué à alimenter une réaction politique contre le commerce, réaction qui a été amplifiée à la fois par les rivalités géopolitiques et par les ruptures d'approvisionnement liées à la pandémie, qui ont révélé les vulnérabilités découlant d'une concentration excessive de certains produits et de certaines relations commerciales.

Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale, Organisation mondiale du commerce
© OMC

Nous avons assisté à une vague croissante de restrictions commerciales, de subventions et d'autres mesures de politique industrielle, motivées par des considérations de sécurité et de climat. Ces mesures ont contribué à la fragmentation qui a commencé à apparaître dans les données économiques, les flux de commerce et d'investissement évoluant de plus en plus en fonction de l'alignement géopolitique des pays.

Laisser la fragmentation s'aggraver serait très coûteux. [Les économistes de l'OMC estiment que si l'économie mondiale se divise en deux blocs autonomes, les pertes qui en résulteraient s'élèveraient à au moins 5 % du PIB mondial réel, ce qui serait pire que les dommages causés par la crise financière mondiale]. Les perspectives de croissance des petites économies en développement seraient les plus durement touchées.

Les défis auxquels nous sommes confrontés recèlent aussi des opportunités

La bonne nouvelle, c'est qu'en dépit des défis auxquels nous sommes confrontés, il existe des possibilités d'utiliser le commerce pour stimuler la croissance, la résilience, l'inclusion socioéconomique et la durabilité environnementale.

Nous pouvons rendre les chaînes d'approvisionnement plus résistantes aux chocs en faisant passer les pays et les communautés de la marge dans le courant principal des réseaux de production mondiaux – ce qu'à l'OMC nous appelons la « re-mondialisation ». Cela favoriserait également la croissance, le développement et la création d'emplois dans des régions d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie qui n'ont pas suffisamment profité des avantages du commerce.

Relier davantage de micro, petites et moyennes entreprises et d'entreprises détenues par des femmes aux marchés mondiaux favoriserait l'inclusion socioéconomique.

Le commerce est indispensable à la diffusion des technologies à faible teneur en carbone et a déjà contribué à réduire le coût de l'énergie solaire et éolienne. Nous pouvons accélérer encore davantage la réalisation de l'objectif « zéro émission » en tirant parti des avantages comparatifs écologiques : si les pays se spécialisent dans ce qu'ils savent faire de relativement écologique, et s'ils font du commerce, il en résultera des émissions mondiales beaucoup plus faibles.

Ngozi Okonjo-Iweala et Pamela Coke-Hamilton, Directrice exécutive du Centre du commerce international, lors du sommet SheTrades, février 2024.

La re-mondialisation nécessite un système commercial multilatéral ouvert et efficace. Pour de nombreux pays et entreprises, ce système doit être complété par un appui du côté de l'offre, du type de celui qu'offre le Centre du commerce international (ITC).

L'ITC a parcouru un long chemin depuis ses débuts, il y a soixante ans, avec une petite équipe dans un bâtiment du GATT. Néanmoins, pour reprendre une expression de la directrice exécutive, Pamela Coke-Hamilton, l'ITC a encore un rôle majeur à jouer pour changer le commerce et, au bout du compte, changer les vies.