Discours

Remarques de la Directrice exécutive auprès de la Commission de l'UE sur le commerce international (INTA)

12 novembre 2015
ITC Nouvelles
Séance publique sur la future stratégie de l'Union européenne en matière de commerce et d'investissement, le 12 novembre, Bruxelles

Je vous remercie pour votre invitation à me joindre à vous afin de partager mon avis sur la future stratégie de l'Union européenne (UE) en matière de commerce et d'investissement. Cet avis est tiré de ma propre expérience au Centre du commerce international (ITC), l'agence conjointe de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et des Nations Unies, dont la mission est d'appuyer le commerce des pays en développement.

Une politique commerciale consiste faire en sorte que le commerce soit possible, en nivelant les conditions du jeu des opérateurs économiques.

La question devient donc, que faire aujourd'hui pour mettre à niveau les conditions d'échange ? En quoi cela consiste-t-il ? Et en quoi la politique « Commerce pour tous » s'y prête-t-elle ?

Dans le paysage commercial actuel, il est clair que la mise à niveau des conditions économiques exige de dépasser les questions tarifaires. Avec le relâchement des restrictions traditionnelles au commerce, les mesures non tarifaires, c'est à dire les exigences en matière de réglementation, d'administration et de procédures, sont devenues les principales sources de restriction au commerce des entreprises.

La mise à niveau des conditions économiques consiste donc à dépasser le domaine des biens en général, et de nous intéresser à celui du commerce des services, avec le commerce numérique, le commerce électronique et la promotion de la mobilité des professionnels.

Le Communication reflète parfaitement ces dimensions, du point de vue des négociations multilatérales régionales et bilatérales.

Le nivellement du terrain économique consiste aussi aujourd'hui à porter une plus grande attention aux petites et moyennes entreprises (PME), et à s'assurer qu'elles puissent pleinement profiter des accords de commerce et d'investissement. Les PME sont instrumentales en tant que moteurs de nos économies ; elles sont les titans de demain et ne peuvent plus être considérées comme de simples boutiques familiales qu'on trouve au coin de la rue. Au niveau mondial, les PME représentent 95 % des entreprises, et comptent pour environ 50 % du PIB et 70 % des emplois, lorsque l'on tient compte de l'ensemble des PME, à la fois celles du domaine formel et celles du domaine informel. Nous parlons ici de 420 à 510 millions de PME, dont 310 millions dans les marchés émergents.

Et lorsqu'elles commercent au niveau international, les PME se montrent plus productives, plus rentables, et créent davantage d'emplois, mieux rémunérés. C'est un fait que l'Europe connaît parfaitement. Avec plus de 600 000 PME européennes impliquées dans le commerce des biens, ce qui représente un tiers du total des exportations de l'UE, et des emplois pour plus de 6 millions de personnes en Europe, les PME jouent un rôle déterminant dans la performance commerciale internationale de l'UE. Les PME – y compris les PME appartenant à des femmes qui représentent aujourd'hui seulement une entreprise exportatrice sur cinq – sont en effet la colonne vertébrale de nos économies.

La Communication est encore dans le vrai en reconnaissant expressément le potentiel inexploité des PME, et le besoin de leur fournir un appui parfaitement ciblé, en commençant par les politiques commerciales appropriées.

L'aspect moteur des PME dans l'économie mondiale a amené le Centre du commerce international à publier le mois dernier son tout premier numéro intitulé Perspectives sur la compétitivité des PME. L'édition 2015 de ces Perspectives montre clairement le rôle de catalyseur que jouent les PME, en particulier quand elles ont l'autonomie et les moyens de l'être grâce à l'accès aux marchés, aux informations sur le commerce et les marchés de biens, aux connexions numériques, à des politiques d'appui nationales, des infrastructures propices et des activités ciblées pour renforcer leurs capacités.

Mais aujourd'hui, mettre à niveau le terrain économique ne se limite pas seulement à faire en sorte que le commerce soit possible. Le commerce ne peut pas être dissocié de l’ensemble des exigences sociales, de la préservation de la vie sauvage au combat contre les changements climatiques et à la protection de la dignité des individus. Le commerce doit s'aligner sur les valeurs des consommateurs, et aujourd'hui, les consommateurs valorisent des biens et services qui sont équitables, éthiques et qui relèvent d'un approvisionnement durable.

La Politique rassemble de manière cohérente les efforts que l'UE déploie déjà pour promouvoir une gestion responsable des chaînes d'approvisionnement et des schèmes commerciaux durables. L'ITC, que la Communication identifie comme un partenaire clef de l'Union européenne dans cette entreprise, travaille et poursuivra son travail avec l'UE pour garantir que les chaînes de valeur contribuent à une croissance soutenue et durable, ici comme dans les pays partenaires de l'Europe. À cette fin, il sera essentiel de nous assurer que les politiques et les mécanismes contribuent également à une plus grande valeur ajoutée dans vos pays partenaires. Il faut que ce soit bon pour les économies d'Europe, bon pour les consommateurs, et bon aussi pour vos partenaires dans les pays en développement.

L'engagement de la Politique d'inclure des dispositifs anti-corruption dans les accords commerciaux est également une excellente nouvelle. La corruption constitue une taxe énorme pour les PME, ici en Europe comme à l'étranger. Elle est citée comme la principale barrière non tarifaire dans les enquêtes sur les mesures non tarifaires que nous menons auprès des entreprises.

Encore une fois, faire en sorte que le commerce soit possible n'est pas suffisant. Nous devons aussi faire en sorte qu'il se concrétise.

Cela commence par mettre en œuvre les accords qui ont été signés. Le rôle du responsable européen en politique commerciale ne doit pas s'arrêter au moment où l'encre a fini de sécher sur les accords. C'est précisément là que le gros du travail commence, de concert avec les entreprises et les institutions d'appui au commerce et à l'investissement. Et c'est un fait aussi important en Europe que dans de nombreux pays en développement avec lesquels l'UE a conclu des accords commerciaux. Plus précisément, cela inclut la fourniture d'informations commerciales détaillées sur les termes des accords, par le biais de portails comme nous l'avons fait récemment pour l'UE au Zimbabwe ainsi que dans un certain nombre de pays de l'Euromed.

C'est une assistance au développement parfaitement ciblée qui permettra de relier les opportunités commerciales avec les réalités du terrain.

L'Europe a une position unique qui le permet, en combinant les forces de son marché intérieur avec l'activisme de son secteur privé et de son aide au développement. La clef pour que le commerce devienne une réalité chez les nombreux partenaires plus démunis de l'Europe tient à une meilleure relation entre ces éléments : le commerce, le secteur privé et l'assistance au développement. En tant qu'organisation qui concentre 70 % de ses interventions en Afrique subsaharienne, dans les pays les moins avancés, les petits États insulaires en développement et les États en sortie de conflit, nous constatons que de plus amples efforts sont nécessaires pour renforcer encore davantage les marchés et les institutions de commerce dans l'hémisphère Sud ; pour appuyer l'addition de valeur en faveur de l'emploi ; et pour promouvoir l'investissement dans les capacités d'approvisionnement. C'est pourquoi nous, à l'ITC, et bien plus encore vos partenaires dans ces pays, attendons avec impatience la mise à jour de la Communication de l'UE sur l'Aide pour le commerce, avec peut-être même le changement de son titre : « Investir pour faire en sorte que le commerce se concrétise ».

En attendant, permettez-moi de rappeler que l'UE aura déjà l'opportunité de démontrer cette volonté à l’occasion de la Conférence ministérielle de l'OMC à venir, à Nairobi en décembre, en contribuant à la reconstitution du Cadre intégré renforcé, le fonds d'affectation spéciale multi donateurs qui vise à aider les pays les moins développés pour qu'ils renforcent leurs capacités de production.

J'aimerais terminer avec un domaine sur lequel la Communication reste silencieuse : l'autonomisation économique des femmes grâce au commerce. L'Organisation mondiale du travail estime à 865 millions le nombre de femmes dans le monde, qu'on appelle aussi « le troisième milliard », qui pourraient contribuer de manière plus solide à la croissance de nos économies, si elles étaient soutenues en ce sens. Les entreprises appartenant à des femmes représentent un levier sous-utilisé qui permettrait de stimuler la compétitivité et d’accélérer la croissance durable du secteur privé – un atout qui demande une plus grande attention de la part de l'UE, ici comme chez vos partenaires de l'hémisphère Sud.

Pour conclure, la future stratégie de l'UE en matière de commerce et d'investissement constitue une étape claire et concrète dans la bonne direction. Elle reflète et s'aligne sur les nouvelles réalités du commerce. En conséquence, la voie à suivre doit être celle qui se concentre sur la mise en œuvre de cette approche – afin de faire en sorte que le commerce se concrétise, et qu'il se concrétise là où il importe le plus. L'ITC se réjouit à l'idée de travailler avec la Commission pour garantir que cet axe de travail mène effectivement à un commerce pour le bien de tous.

Je vous remercie.