Discours

Discours lors de la conférence de l’Association pour le commerce extérieur 2017

15 décembre 2017
ITC Nouvelles
Discours prononcé par Madame Arancha González, Directrice exécutive de l’ITC, lors de la conférence annuelle de l’Association pour le commerce extérieur
Bruxelles, le 15 juin 2017

Permettez-moi tout d’abord de remercier l’Association pour le commerce extérieur de m’avoir invitée à me joindre à vous pour célébrer votre 40e anniversaire. C’est un honneur d’être ici avec vous pour marquer cette étape importante dans l’histoire des accords de libre-échange.

Étant donné le thème de cette séance, vous vous attendez probablement à ce que je m’exprime au sujet des réactions négatives que suscitent les marchés ouverts dans de nombreuses économies avancées. Et au sujet de l’Accord de Paris. Je reviendrai à ces deux aspects. Mais d’abord, j’aimerais parler d’un musée aux États-Unis. Pas célèbre. Un musée de petite ville, dans le Sud-est du Kentucky. Il est dédié à l’industrie qui alimentait l’économie de la région : l’extraction du charbon.

Il y a deux mois, le Kentucky Coal Museum a fait les gros titres lorsqu’il a annoncé qu’il installait des panneaux solaires sur son toit. Était-ce une déclaration symbolique au sujet du passage du carbone à l’énergie solaire ? Que non. C’était une pure décision d’affaires : ces panneaux solaires permettront au musée d’économiser des milliers de dollars en factures d’électricité chaque année.

Le coût de production d’énergie renouvelable a chuté beaucoup plus rapidement que l’auraient cru la plupart des personnes. L’an dernier, plus de la moitié de la nouvelle capacité de production d’électricité installée dans le monde était renouvelable.

Le prix mondial moyen de l’énergie solaire est le cinquième de ce qu’il était en 2010, il demeure en baisse. Les énergies éolienne et solaire se font mutuellement concurrence avec les combustibles fossiles aux taux du marché. Une société danoise d’éoliennes offshore a récemment annoncé que ses nouveaux projets dans la mer du Nord en Allemagne n’auraient pas besoin de subventions. Pourquoi pas ? Parce qu’ils seraient commercialement viables aux prix de gros de l’électricité. Les percées dans la technologie des batteries offrent à présent un nouvel élan à l’essor des énergies renouvelables. Les batteries sont d’une importance capitale, car comme le savent les habitants de Bruxelles, le soleil ne brille pas toujours !

J’ai encore de meilleures nouvelles : il ne s’agit pas seulement de la production et du stockage d’électricité. Un logiciel d’intelligence artificielle aide les sociétés Internet comme Google à minimiser l’énergie consommée par leurs centres de données gourmands en énergie.

La remise à neuf, le recyclage et d’autres pratiques d’économie circulaire permettent d’économiser les coûts de production et de transport des entreprises tout en réduisant leur empreinte environnementale. Renault, le constructeur automobile français, économise de l’argent et des matières premières en recyclant des composants durables comme les pompes, les moteurs et les boîtes de vitesses, et les introduit à nouveau sur le marché avec une remise de 30 à 50 %.

De nouveaux modèles commerciaux permettent de changer radicalement les modes d’utilisation des ressources dans le monde. Dans un avenir pas trop lointain, bon nombre d’entre nous vendront nos voitures personnelles qui passent actuellement la plupart du temps en stationnement pour une flotte commune de taxis électriques autonomes beaucoup plus petits.

Cela me permet d’aborder ce qui sera l’un de mes deux messages principaux de ce jour : même si les politiques ne sont pas aussi adéquates, il n'en reste pas moins vrai que les outils dont nous disposons pour une production et un commerce responsables n’ont jamais été aussi meilleurs.

Par meilleurs, je ne veux pas dire assez bon. Pensez au ciment, aux plastiques et à l’acier ; ce dont notre monde est littéralement fait. Pour l’instant, nous ne disposons pas de moyens adéquats pour réduire leurs émissions de carbone.

Pour toutes nos innovations récentes, nous sommes toujours sur une trajectoire vers des augmentations de température globales bien au-dessus de l’objectif mondial de 2 degrés.

Mais la décarbonisation de la croissance est déjà une réalité, comme le montre l’exemple de la Suède. J’ai hâte d’entendre leurs points de vue sur le Programme de développement à l'horizon 2030, qui met l’accent sur la production et la consommation durables.

Et puis, bien sûr, nous avons la politique. Comme nous le savons, le contexte politique du changement climatique et du commerce est actuellement un peu complexe.

Nous avons tous ressenti une grande déception face au retrait des États-Unis de l’Accord de Paris. Pas parce que cela concernait principalement Paris. Mais parce que c’était une première tentative mondiale sérieuse pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et promouvoir la sécurité internationale.

Mais souvenons-nous que la révolution de l’énergie renouvelable que j’ai décrite s’est produite sans un prix mondial du carbone. Elle a été stimulée principalement par l’innovation commerciale en réponse à l’action politique aux niveaux national, régional et infranational. Les subventions et réglementations allemandes visant à encourager les énergies renouvelables ont été prises comme modèles ailleurs en Europe ainsi que dans de nombreux États américains.

La Chine et l’Inde ont considérablement investi dans l'énergie solaire et éolienne. Lorsque la Californie renforce ses normes en matière d’émissions automobiles, toutes les entreprises qui espèrent vendre des véhicules aux États-Unis finissent par se conformer. Les ouvertures commerciales continueront de croître. C’est pourquoi je suis persuadée du fait que la politique finira par suivre cette voie.

Pendant ce temps, les gouvernements du monde entier ont réaffirmé leur détermination à respecter leurs engageements nationaux de réduction des émissions. Un défi consistera à tirer parti de cet élan dans les années à venir et à collectivement réduire les émissions au-dessous du niveau de 2 degrés C et à un niveau supérieur. Pour l’avenir, nous pourrions voir des tensions commerciales se produire si certaines grandes économies adoptent des contraintes strictes en matière de carbone alors que d’autres ne le font pas.

Les tensions commerciales sont une réalité du monde actuel qui connaît une mondialisation qui a progressé au rythme le plus rapide, même si la mondialisation existe depuis des siècles sous nos yeux. Il est certain que la mondialisation n’a pas le même effet porteur pour tous. En conséquence, le commerce est devenu un paratonnerre pour l’angoisse existentielle du public face à la mondialisation, en particulier dans certaines économies avancées.

Cela s’explique en partie par le fait que le commerce est visible et fait appel à l'étranger d'une manière différente des phénomènes plus profonds tels que le changement technologique et les changements des valeurs sociétales. Cette visibilité fait du commerce, comme de l’immigration , un bouc émissaire simple et commode pour des défis sous-jacents plus complexes. Le Royaume-Uni a voté en faveur de la sortie du plus grand bloc commercial du monde pour « reprendre le contrôle » des questions d’immigration et de réglementation. De l’autre côté de l’Atlantique, nous avons vu flotter la proposition erronée selon laquelle le protectionnisme commercial peut ramener l’emploi et la croissance des revenus.

Nos économies sont à des stades fortement différents. En effet, aujourd'hui au XXIème siècle, beaucoup de sociétés vivent encore au XXème siècle ; sans parler des systèmes politiques qui, dans de nombreux cas, vivent encore comme au XIXème siècle. La solution ne consiste pas à ramener nos économies au XIXe siècle ; nous devons veiller à ce que tous les secteurs de nos sociétés puissent bénéficier de la croissance économique et de la prospérité.

À cet égard, la colère suscitée par le commerce aujourd'hui masque le succès remarquable de l'économie mondiale ouverte. Des marchés prévisibles et ouverts ont permis à des milliards de personnes à travers le monde de s’accrocher à l'économie mondiale et d'utiliser la demande et les connaissances mondiales pour stimuler une croissance rapide. Nous avons remarqué une baisse spectaculaire de l'extrême pauvreté et il convient de noter que les marchés ouverts y ont joué un important rôle.

Toutefois, bon nombre n’ont pas profité de cette avancée. Que ce soit dans les pays les plus pauvres ou dans les économies les plus riches, d’importants groupes sociaux sont laissés pour compte.

Pour une génération après les années 1989, dans de nombreuses économies développées, nous avons suscité de trop grandes attentes sur les avantages de la mondialisation et avons sous-estimé les mesures requises pour que chacun bénéficie des gains. Dans certains cas, les politiques ont un effet d’accélérateur au lieu de réduire les inégalités au niveau des revenus, des richesses, de l’éducation, et des opportunités. La colère contre les politiques de nos jours, est attribuable en grande partie à ces défaillances.

Le cloisonnement des marchés est-il alors la solution ? Non. Le protectionnisme réduirait le pouvoir d’achat et affaiblirait la croissance de la productivité en portant un coup à la spécialisation, la concurrence et aux économies d'échelle. Cela pourrait sauver une usine ici et là, mais au prix de rendre toutes les sociétés encore plus pauvres qu’il en serait autrement. En effet, le protectionnisme commercial est une réponse intellectuellement sclérosée aux défis lancés par la mondialisation.

Le libre-échange, ancré dans les institutions multilatérales telles que l’OMC, demeure la meilleure façon d’avancer. Toutefois, seule, l’ouverture du marché n’est pas suffisante. Ce qui mène à mon second message principal : Pour que la croissance et le commerce soient vraiment responsables, ils doivent être plus inclusifs.

Une partie de la solution ici porte sur les politiques sociales. Les gouvernements doivent investir dans tous les domaines allant de l’éducation et la formation professionnelle, aux politiques actives du marché du travail pour mieux faire concorder les capacités des intéressés avec les opportunités d’emploi. Possibilités d’emploi futures : comme nous l’avons souvent cité, un grand nombre d’emplois pouvant être effectués par vos enfants, vos petits-enfants et vos nièces ne sont pas encore connus.

Si les robots et l’automatisation sont la raison d’une importante perte d’emplois, et en même temps sont une source de nouveaux emplois pour bon nombre d’entre nous, il devient primordial de prendre des mesures telles que l’augmentation de salaires ou le revenu de base universel. Comme l’a fait l’économie industrielle au cours du 19e et 20e siècles, l’économie à la demande nécessite de nouvelles mesures de protection des travailleurs, et le plus tôt nous réussirons à développer des modèles viables, le mieux ce sera.

Deux points supplémentaires : D’une part, cet agenda de politique sociale s’applique également dans les pays en développement, où les augmentations de revenus les plus considérables profitent aux populations relativement favorisées.

Et d’autre part, cet agenda n’est pas donné, raison pour laquelle les entreprises multinationales qui ont recours aux acrobaties de la comptabilité afin de réduire au maximum leurs obligations fiscales ne sont pas favorables à l’ouverture des marchés à long terme. En effet, ces entreprises doivent prendre enfin leurs responsabilités et devenir des « acteurs du développement » puisqu’elles réalisent des bénéfices.
Un autre facteur pour rendre le commerce inclusif est de s’assurer que les entreprises qui emploient la majorité de la main-d’œuvre jouent un rôle actif sur la scène internationale.

Les entreprises auxquelles je me réfère ici sont les micros, petites et moyennes entreprises. Un peu partout, les PME comptent la très grande majorité des entreprises, soit 70 % environ d’emplois. Cependant, les petites entreprises semblent être beaucoup moins productives que les grandes entreprises. Les recherches menées au Centre du commerce international montrent que ces écarts de productivité se traduisent par des faibles salaires et des mauvaises conditions de travail. Ainsi, lorsque les PME sont outillées pour devenir plus compétitives et tirer parti des chaînes de valeur internationales, c’est une formule de la croissance qui s’ensuit.

Ici en Europe, l’initiative du Mittelstand d’Allemagne est érigée comme symbole iconique de la façon dont un secteur des PME connecté à l’échelon mondial, étroitement ancré dans les chaînes de valeur des grandes entreprises, peut accroître le dynamisme économique tout en favorisant un partage plus équitable des fruits de la croissance.

Que pouvons-nous faire, alors, pour intégrer davantage les PME dans le commerce international ? L'expérience de l’ITC qui se déploie pour l’internationalisation offre quelques indications.

La première concerne les politiques qui réduisent les coûts fixes du commerce. Les coûts induits par les procédures frontalières complexes et la nécessité de satisfaire aux différentes normes de produits et d’autres mesures non tarifaires pèsent d’un poids disproportionné sur les PME. Le commerce inclusif renvoie à la formulation des normes qui ne soient pas inutilement complexes.

Cela signifie aussi réaliser des investissements ciblés du côté de l’offre. En l’occurrence, le soutien accordé aux PME en vertu de l’Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges, et l’assistance aux laboratoires d’essai et à d’autres installations des PME, en particulier celles des pays en développement, doivent satisfaire aux normes en matière de qualité et de sécurité des marchés cibles et des entreprises leaders.

Les gouvernements pourraient également réduire les subventions en faveur des combustibles fossiles et des pêches ; ouvrir les marchés des biens et services environnementaux et libérer totalement le pouvoir des solutions électroniques telles que le commerce en ligne en cherchant une compréhension commune des bénéfices pour les commerçants à tous les niveaux de la chaîne de valeur.

Cependant, les entreprises peuvent grandement participer à l’intégration d’un grand nombre de PME dans les chaînes d’approvisionnement d’une manière socialement responsable. Par exemple, l’établissement de normes n’est plus le seul monopole des organismes publics. Dans de nombreux segments de marché, les normes privées comptent beaucoup plus que celles publiques. Les organismes d’élaboration de normes volontaires de durabilité devraient s’efforcer d’éviter la duplication inutile, et œuvrer à assurer la conformité des petites entreprises. Une norme est responsable uniquement si elle offre des moyens aux PME de la respecter. Je vous invite tous à examiner les Principes du commerce pour le développement durable de l’ITC, qui établissent certaines lignes directrices visant à garantir que les initiatives de durabilité sont à la hauteur des attentes.

De plus la technologie peut offrir aux entreprises une boîte à outils de croissance pour suivre et promouvoir la viabilité au delà des frontières de leurs chaînes de valeur.

J’ai longuement débattu des nouvelles inventions, mais je voudrais souligner que le commerce responsable ne concerne pas seulement les technologies de pointe. Il y a environ un an et demi, j’ai visité une plantation de thé au Kenya et j’ai pu observer comment deux séries d’interventions incontestables du 20e siècle ont permis aux agriculteurs de faire face au changement climatique et à la déforestation. Les services de vulgarisation agricole ont enseigné aux agriculteurs de nouvelles techniques visant à protéger les plants de thé contre les nouvelles conditions météorologiques extrêmes. Une machine importée de Calcutta permet au personnel de compresser les déchets comme les balles de riz et la sciure en briquettes utilisées comme combustible en remplacement du bois de chauffage pour sécher et traiter les feuilles de thé. Les résultats cumulatifs : chaque année plus de 70 000 arbres sont sauvés, les émissions de carbone réduites, de meilleurs rendements et des revenus plus élevés pour les petits exploitants agricoles du secteur des exportations le plus important au Kenya. Il s’agit du commerce responsable.

Pour résumer, le commerce responsable doit être viable pour l’Environnement et une source d’intégration sociale, ancré dans la coopération fondée sur les règles communes. Les gouvernements et les entreprises disposent des outils pour y parvenir. Reste à savoir s’ils sont motivés. S’ils réussissent, les troubles politiques actuels ne resteront dans les mémoires que comme des légers soubresauts sur le chemin vers le développement durable. Dans le cas contraire, ils seront les précurseurs d’une crise de plus grande envergure dans les années à venir.

Je vous remercie pour votre attention.