Discours

Discours liminaire - Inde et Afrique : Construire l’avenir ensemble

18 janvier 2018
ITC Nouvelles
Discours liminaire prononcé par Mme Arancha González, Directrice exécutive de l'ITC le 30 janvier 2017 - Mumbai, Inde

Mesdames et Messieurs, Bonjour,

Je suis très heureuse d’être ici à Mumbai aujourd’hui. C’est un grand plaisir d’être en compagnie d’un groupe de jeunes étudiants africains motivés, profitant pleinement des opportunités d’apprendre et de développer leurs compétences dans l’une des économies émergentes ayant la croissance la plus rapide au monde.

Je remercie M. Mathur et l’équipe d’EXIM Bank pour l’organisation de cette importante discussion ici aujourd’hui et de m’avoir donné l’occasion d’aborder la thématique « Inde-Afrique :Construire l’avenir ensemble ».

Le Centre du commerce international (ITC) que je dirige est une agence conjointe des Nations Unies et de l’Organisation mondiale du commerce. Depuis plus de cinquante ans, nous travaillons avec les secteurs public et privé pour renforcer la compétitivité des petites et moyennes entreprises (PME) dans les pays en développement.

Au cours des six dernières décennies, le paysage du commerce international a radicalement changé. La place des femmes et des jeunes était un sujet rarement à l’ordre du jour du commerce international. L’Organisation mondiale du commerce n’existait même pas ! Mais aujourd’hui, nous vivons dans un monde très différent.

Les Objectifs de développement durable des Nations Unies sont notre feuille de route pour réduire la pauvreté et les inégalités et promouvoir une croissance et un développement durables et inclusifs à l’horizon 2030. Le centre d'intérêt pour les décisions étant en train de changer : les pays en développement, les ONG, les institutions universitaires, le secteur privé et bien entendu, les femmes et les jeunes, vous avez tous un rôle majeur à jouer à la table pour l’atteinte de ces objectifs.

Malgré la rhétorique mondiale actuelle sur l’anti-mondialisme et le protectionnisme, le Centre du commerce international estime que nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère des relations commerciales entre l’Afrique et l’Inde. Toutefois, cet avenir a également un passé intéressant et pittoresque.

Pour ceux qui se souviennent du livre pour enfants Sinbad le marin, vous savez que Sinbad était un commerçant omanais qui a navigué depuis le port de Bassorah situé au sud de l’Irak, poussé par les vents prévisibles de la mousson annuelle de l’océan Indien.

Les voyages de Sinbad l’ont mené de l’Afrique à Mumbai. C’était l’histoire d’un jeune commerçant qui cherchait de nouveaux partenariats et de nouveaux marchés le long des côtes de l’océan Indien. Si Sinbad est parti de Bassorah, beaucoup d’autres ont fait le voyage depuis Salalah, Porbunder, Mumbai et bien d’autres ports du sous-continent.

À l’ITC, nous avons toujours considéré les partenariats Sud-Sud comme un important levier de la création d’emplois et une source de transfert de connaissances. En outre, le Gouvernement indien est promoteur des partenariats Sud-Sud depuis longtemps en1960 dans le cadre de programmes tels que le programme de coopération économique et technique indienne (ITEC). Les partenariats Sud-Sud ne sont donc pas nouveaux. Mais qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? Le contexte est très différent.

Depuis les années 90, le commerce Sud-Sud n’a cessé de croître rapidement. La part du commerce Sud-Sud dans le commerce mondial a explosé, passant de seulement 7,4% en 1990-1991 à 15,4% en 2009. Le commerce entre l’Inde et l’Afrique a connu à lui seul une croissance spectaculaire : les exportations africaines vers l’Inde ont augmenté de plus de 80% entre 2008 et 2015

Le XXIe siècle a été témoin d’une croissance remarquable et pratiquement durable des investissements Sud-Sud, qui, à partir de 2015, ont progressé à un taux annuel moyen de 21%. Ces dernières années, l’Inde est devenue l’une des sources d’investissements directs étrangers (IDE) à la croissance la plus rapide pour les pays en développement. Le total des investissements directs étrangers de l’Inde s’élevait à $120 milliards à la fin de 2013.

En outre, l’Afrique et l’Inde possèdent la main-d’œuvre jeune à la croissance la plus rapide et qui aura besoin d’opportunités d’emplois décents et bien rémunérés. Il s’agit d’une opportunité pour les entreprises des régions néceisstant une main-d’œuvre jeune pour développer leur industrie manufacturière et de services. Mais comme tout jeune vous le dira aujourd’hui, c’est également un défi, lorsque la concurrence pour les emplois est féroce et qu’il n’y a pas assez d’opportunités d’emplois décents pour tout le monde.

Selon moi, ces tendances renforcent considérablement l’importance des partenariats Sud-Sud pour le développement à long terme des deux régions.

Premièrement, relever le défi de la création d’emplois décents pour un nombre croissant de jeunes nécessite non seulement que nous donnions aux entreprises (les créateurs d’emplois) les moyens de maintenir des liens commerciaux et d’investissement solides actuels, mais aussi que nous renforcions les liens avec de nouveaux marchés. Dans le partenariat Sud-Sud, il existe encore d’importantes opportunités de marché inexploitées et, lorsqu’elles seront exploitées adéquatement, la croissance profitera aux deux régions.

Le maintien et l’expansion des liens Sud-Sud en matière de commerce et d’investissement exigent toutefois des personnes qualifiées et capables de comprendre les deux cultures d’entreprise pour établir des liens entre elles. Ainsi, les partenariats au sens large signifient également la constitution d’un groupe de jeunes professionnels internationaux, des étudiants comme vous ici aujourd’hui qui se sentent à l’aise de faire des affaires aussi bien à Mumbai qu’à Kampala ; ou de jeunes entrepreneurs qui peuvent s'imprégner des solutions innovantes à l’étranger et trouver des moyens de les adapter chez eux.

Il faut également des chefs d’entreprise visionnaires qui sont prêts à investir à long terme, notamment dans l’encadrement et l’éducation des professionnels locaux, le recensement de nouvelles solutions aux besoins locaux et le renforcement des liens en amont avec l’économie locale. Plusieurs de ces hommes et femmes d’affaires dont je parle sont présents dans cette salle aujourd’hui.

Des programmes tels que le programme de coopération économique et technique indienne ou les nombreux projets de l’ITC peuvent soutenir et renforcer ces partenariats Sud-Sud.

Maintenant, je vais vous présenter quelques exemples d’actions que nous menons, orientées, en particulier, vers le « projet de soutien au commerce et à l’investissement de l’Inde pour l’Afrique » (SITA). Ce projet, qui est financé par le Ministère britannique du développement international (DFiD) et qui est à sa deuxième année de mise en œuvre, vise à promouvoir l’établissement de partenariats de commerce et d’investissement entre l’Inde et l’Afrique orientale.

Programme indo-africain de stages - Exposition des jeunes diplômés au monde professionnel

Un des secteurs dans lesquels le projet de soutien au commerce et à l’investissement de l’Inde pour l’Afrique se déploie est celui des technologies de l’information (TI) et des services qui se servent de ces technologies. Nous avons choisi les technologies de l'information pour une bonne raison : elles sont l’un des secteurs à plus forte croissance dans l’économie indienne et dominent le marché mondial. Les relations avec le secteur indien à fort taux de succès du programme de coopération économique et technique indienne offrent un grand potentiel aux entreprises africaines pour apprendre des bonnes pratiques, acquérir une expertise spécifique et rechercher des partenariats pour des projets commerciaux et des investissements d’Inde.

Dans le secteur des services, nous savons tous que le succès ou l’échec de votre entreprise dépend des compétences de votre personnel. Par conséquent, lorsque nous envisagions les voies et moyens de permettre aux entreprises africaines de tirer le meilleur parti possible de la vaste expertise des services indiens de technologies de l'information, nous avons orienté notre attention sur les jeunes étudiants africains suivant des cursus de programmation en technologies de l'information et de la communication et d’autres cursus similaires en Inde. Nous savons qu’un grand nombre d’étudiants africains sont déjà inscrits dans des universités indiennes, et que certains d’entre eux se trouvent dans cet auditoire aujourd’hui. Cependant, les rapports qui nous reviennent indiquent que plusieurs d’entre eux rentrent sans avoir pu acquérir une expérience professionnelle en Inde. Nous considérons cela comme des opportunités gâchées tant pour les étudiants que pour les entreprises indiennes.

Aussi avons-nous initié un programme indo-africain de stages pour offrir aux jeunes étudiants africains l’opportunité d’acquérir leur première expérience professionnelle auprès d’entreprises informatiques indiennes. Cette exposition au monde professionnel revêt plusieurs avantages :
- elle permet aux jeunes diplômés d’acquérir des compétences pratiques et d’améliorer leurs capacités d’insertion professionnelle aussi bien dans leurs pays d’origine qu’à l’international
- elle permet aux futurs entrepreneurs et employeurs africains de rapporter dans leurs pays les bonnes pratiques acquises en Inde, et
- elle peut créer et renforcer des partenariats commerciaux à long terme entre les entreprises indiennes et africaines.

J’ai le plaisir de vous annoncer que les deux premiers étudiants stagiaires originaires d’Afrique orientale commenceront leur stage en mars cette année auprès d’une entreprise informatique à Noida.

Je voudrais profiter de cette opportunité pour encourager les représentants d’entreprises indiennes et les étudiants africains intéressés, présents dans cette salle, à prendre attache avec nous, pour pouvoir participer à cette initiative passionnante.

Il s’agit là d’un des exemples concrets sur la façon dont nous travaillons à renforcer les partenariats Sud-Sud à travers nos projets.

SheTrades - Mitreeki – Parrainage de jeunes femmes chefs d'entreprises

Un autre moyen par lequel l’ITC cherche à soutenir l'apprentissage à partir des partenariats Sud-Sud, est la mise sur pied de réseaux d’entrepreneurs. Ces réseaux font partie de l’initiative Shetrades - Mitreeki East Africa – India Partnership, et serviront de plateformes d’échange de connaissances, sur lesquelles les femmes indiennes et d’Afrique orientale pourront se retrouver pour partager leurs expériences et bonnes pratiques, et développer des idées commerciales. Les chefs d’entreprises intègreront également le réseau, et seront des encadreurs des jeunes entrepreneurs. Shetrades - Mitreeki offrira également à des experts techniques, des acheteurs et des services financiers l’accès à des formations en ligne.

L’ITC dispose également d’un programme « Jeunesse et commerce » qui vise à renforcer l’environnement dans lequel opèrent les jeunes entrepreneurs et le niveau d’assistance qu’ils reçoivent. Les approches personnalisées permettent aux jeunes entrepreneurs d’intégrer des chaînes de valeur internationales et d’améliorer leur compétitivité.

Les plateformes de cette nature peuvent servir à donner aux jeunes entrepreneurs un bon départ et leur garantir le maximum de chances de réussite dans le marché international. Les hommes d’affaires plus expérimentés, quant à eux, sont non seulement en mesure de dispenser leurs connaissances, mais également d’investir dans de futures entreprises partenaires de leurs secteurs.

Ces plateformes nous permettent d’élargir les réseaux que des jeunes étudiants comme vous ont mis au point durant leurs cursus académiques ici, et également d’atteindre des jeunes entrepreneurs africains qui n’ont pas eu l’opportunité d’étudier à l’étranger et de créer par eux-mêmes des connexions.

Surmonter les asymétries d’information et les obstacles liés à la confiance

Lorsque nous présentons aux potentiels investisseurs et acheteurs indiens les opportunités d’affaires en Afrique, nous constatons que l’un des premiers défis est lié à l’asymétrie d’information. Un grand nombre d’entreprises ignorent l’existence d’opportunités simplement par manque d’information. D’autres ont fait état de préoccupation concernant la sécurité et un grand nombre d’entre elles indiquent qu'elles se confrontent à des difficultés dans la recherche de partenaires commerciaux.

Nous entendons, et cela est intéressant, les mêmes préoccupations des entreprises africaines, qui portent sur la fiabilité des marchés internationaux, l’ignorance des opportunités de marchés et la sécurité des déplacements en international.

Selon notre expérience, le commerce n’a pas seulement pour objet les échanges de biens, mais il consiste aussi à mettre en relation des personnes et à établir des liens de confiance.

Dans des projets comme le projet de Soutien au commerce et à l’investissement indien en Afrique, nous avons constaté qu’un grand nombre de ces défis pouvaient être surmontés souvent par de simples visites d’imprégnation et des formations et que des accords commerciaux étaient naturellement signés en marge de ces visites. Ces projets jouent donc un rôle important en mettant en relation des parties prenantes afin d’éradiquer les fausses conceptions et bâtir la confiance.

C’est pourquoi nous sollicitons souvent les ambassadeurs du commerce international : les entreprises et professionnels indiens et africains déjà activement engagés dans des partenariats Sud-Sud, et qui peuvent par eux-mêmes en témoigner ; pour parler des défis mais également des opportunités réelles à exploiter.

Apprendre des acheteurs indiens

En guise d’exemple, au Rwanda, le programme de Soutien au commerce et à l’investissement indien en Afrique travaille en collaboration avec un producteur et acheteur d’épices indien expérimenté dans l’essai de culture de six nouvelles variétés de piment rouge. Ce producteur expérimenté d’épices jouissait déjà de nombreuses années d’expérience dans les partenariats Sud-Sud en Asie et prospectait le marché africain. C’est en grande partie cette vision qui a donné lieu au lancement de la phase pilote. Cette entreprise indienne a conclu des partenariats avec un certain nombre de jeunes entreprises au Rwanda désireuses de diversifier leurs paniers d’exportation d’épices.

Cette entreprise fournit les semences et l’expertise, et garantit l’achat de la récolte en aval. Le programme de Soutien au commerce et à l’investissement indien en Afrique (SITA) assure la coordination et l'exécution des pratiques agronomes appropriées. Les PME rwandaises, avec le soutien du National Agricultural Export Board, pilotent ce programme, avec pour objectif à terme de porter la culture du piment rouge au Rwanda à 360 hectares et, de le traiter pour exportation vers les marchés internationaux.

J’ai évoqué le fort taux de croissance des exportations d’Afrique vers l’Inde. Cependant, nous savons qu’une grande partie de ces exportations d’Afrique vers l’Inde reste dominée par quelques commodités de base et très souvent par une poignée de grands acteurs.

C’est par des exemples comme ceux-là que nous nous rendons compte du potentiel des partenariats Sud-Sud dans la création d’opportunités commerciales gagnant-gagnant pour les acheteurs indiens désireux d’investir à long terme sur les PME africaines qui sont en mesure de mettre en pratique l'apprentissage sur la production des épices indiennes et d'en faire une des sources d’exportation dans leurs pays.

Je constate qu’un grand nombre d’entreprises déjà actives en Afrique, en tant que de tels ambassadeurs, sont représentées ici aujourd’hui. De même, les étudiants africains présents ici aujourd’hui, qui comprennent déjà la culture et le contexte économique indiens mieux que plusieurs autres dans leurs pays natals, sont les opérateurs économiques de demain. Vous pouvez être des pionniers pour le renforcement des liens commerciaux entre vos régions et transposer les solutions dont vous vous imprégnez ici dans vos environnements respectifs une fois de retour.

L’avenir du commerce international appartient à la prochaine génération d’entrepreneurs et de chefs d’entreprise. Il est donc particulièrement important pour l’ITC de promouvoir les opportunités commerciales pour les jeunes et les femmes. Avec 1,8 milliard de jeunes âgés de 10 à 24 ans, nous assistons à un moment de l'histoire où la population jeune est des plus fortes.

La transformation de cette de croissance démographique de la jeunesse en un dividende de croissance dépend de la conception et de la mise en œuvre des politiques et des initiatives visant à tirer parti des avantages compétitifs d’une population jeune.

En tant qu’étudiants et chefs d’entreprises, je vous encourage à être des participants actifs dans le débat du commerce mondial. Vous avez l’opportunité de participer à la réécriture de l’agenda actuel et à venir. Votre opinion compte.

Je vous remercie pour cette opportunité d’échanger avec vous aujourd’hui.